Gestion des lits : quand le numérique allège les tensions

L’informatisation de la gestion du flux de patients s’installe peu à peu dans les établissements hospitaliers. Elle permet de rationaliser les tâches, de gagner un temps précieux, d’accélérer la prise en charge et de connaître, en temps réel, le nombre de lits disponibles, un atout majeur, particulièrement en situation épidémique.

© CHU Poitiers

Au CHU de Poitiers, tout a commencé à cause d’une grogne grandissante des usagers. La direction était inondée de lettres de plaintes de patients passés aux urgences et mécontents du temps d’attente. « En 2013, nous étions le premier CHU à décider d’informatiser la gestion des lits », explique Bruno Avril, cadre supérieur de santé, nommé à ce moment-là en charge de la gestion des lits et de la programmation hospitalière, sous la houlette d’un directeur adjoint missionné sur le projet. L’année suivante, l’établissement investit dans un logiciel testé dans un premier temps dans deux services avant d’être généralisé.

Lit vert, lit occupé

Quatre postes de gestionnaires de lits, « bed managers », sont créés. Sur leur écran, un plan des services s’affiche à l’échelle. Les lits sont colorés en vert s’ils sont occupés et parfois renseignés d’une date supposée de sortie. Ils deviennent marrons quand le patient quitte les lieux. Ainsi on sait que les équipes de nettoyage peuvent œuvrer. Le lit redevient libre, blanc, à la fin de leur mission. Les cadres peuvent alors le réserver pour une entrée programmée.

Chaque service a l’obligation de réserver en permanence un nombre donné de lits (de 1 à 4) dédiés à l’urgence. Depuis leurs écrans géants, comme dans une tour de contrôle, les « bed managers » peuvent ainsi les attribuer, lorsqu’autrefois les urgences devaient partir à la recherche d’une place en téléphonant aux services. « Attention toutefois à ne pas vouloir ajouter trop d’informations sur les écrans, cela devient un sapin de Noël, c’est peu utile et fatigant pour les bed managers. Il s’agit d’un outil de gestion de lit et pas de d’offre de soin », prévient Bruno Avril. Mais les résultats sont là : « en un an, on a gagné une heure de temps de passage aux urgences », se réjouit-il. Satisfait, le CHU recherche un moyen d’élargir le système à l’activité programmée.

Une pratique révolutionnée

Le CHRU de Nancy a déjà franchi ce cap, grâce à un projet baptisé « Optimisation du parcours du patient » initié en 2015. « À l’époque, une directive nationale nous demande de diminuer nos capacitaires, d’améliorer nos durées moyennes de séjour (DMS), nos taux d’occupations, d’éviter les déprogrammations : le virage ambulatoire était engagé », contextualise Sophie Pottier, cadre supérieure de santé à la direction des soins, détachée sur le projet depuis le début.

la plateforme de gestion des lits du CHRU Nancy

L’hôpital lorrain s’équipe alors d’une application montrant, en temps réel, la disponibilité des lits. « En sortie de consultation, une infirmière de parcours reçoit le patient et organise immédiatement les rendez-vous en fonction des prescriptions : programme de tel examen, de telle intervention (donc du lit, NDR) pour laquelle en ayant travaillé en amont avec les praticiens on a pu paramétrer des durées prévisionnelles de séjour. De plus, elle procède à la pré-administration du patient. Ainsi, le jour de son rdv celui-ci peut se rendre directement dans le service. C’est une révolution de pratique », s’enthousiasme-t-elle.

« Grâce à la connaissance des lits disponibles et de leur occupation, on peut même proposer à un patient de venir à l’hôpital deux heures plus tard en attendant un lit, ou l’héberger dans un autre service, le temps qu’un lit du bon service ne se libère, par exemple pour éviter de faire revenir un patient entre une imagerie et une opération. Résultat malgré la diminution du capacitaire, nous maintenons le niveau d’activité programmée. Autre avantage, nous avons redonné du temps aux cadres. Fini le cardex, le papier, le téléphone… », analyse Sophie Pottier.

La valeur ajoutée démontrée pendant la pandémie

Les outils numériques ont facilité la vie des hôpitaux durant la crise sanitaire. Depuis 2020, le CHU de Poitiers crée des lits Covid, comme il ferait pour des lits « grippe ». « Au pic, une cellule de crise se réunissait une ou deux fois par semaine pour ajuster notre capacitaire », renseigne Bruno Avril. À Nancy, la solution digitale a également prouvé sa valeur ajoutée. « Les infirmières de parcours se sont chargées de déprogrammer puis de reprogrammer. Et nous sommes restés à 50 % de programmation lors de la deuxième vague. Nous avons toujours gardé des non-Covid pendant la crise », met en avant Sophie Pottier. Convaincue par cette première expérience, elle pense déjà à la suivante : « La prochaine étape, c’est le management territorial des lits. On réfléchit dans ce sens en lien avec les SSR, les Ehpad… ».

Un dispositif informatique a également soulagé le Groupe Hospitalier Saint-Vincent, à Strasbourg (GHSV) au printemps dernier, lors d’arrivées incessantes de personnes contaminées. « Cela ressemblait à un supplice chinois. Nous ne savions pas combien il nous fallait de lits Covid pour le lendemain, encore moins pour la semaine d’après », se souvient Frédéric Leyret, directeur du GHSV. Il faut que l’un de ses agents décroche son téléphone, contacte une trentaine de services toutes les 6 heures et remplisse un tableau excel pour fournir à l’ARS un point actualisé deux fois par jour. Par chance, le conjoint d’une anesthésiste imagine une application qui permet aux unités de faire l’inventaire en temps réel. Une fois le pic passé, son usage a été abandonné, faute d’interopérabilité. Pour l’utiliser à nouveau, Frédéric Leyret, estime qu’il faudrait qu’elle soit connectée aux fiches patients encore aujourd’hui sous format carton (cardex).

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