Ukraine : la logistique hospitalière face à la guerre

Après un an de guerre, la logistique et les circuits d’approvisionnements des établissements de santé ont réussi à s’adapter. Mais les hôpitaux ukrainiens qui continuent de manquer de certains équipements comptent toujours sur l’aide de leurs homologues français. Interviewés grâce à l’aide d’Anton Humeniuk, représentant en Ukraine de l’ONG Humanitarian For Empowerment, Borys Todurov, du Heart Institute de Kiev, et Savva Mahdebura, du Centre régional d’oncologie de Podilsk, font appel à la solidarité hospitalière et précisent leurs besoins.

© Anton Humeniuk.

À Kiev, Borys Todurov dirige le Heart Institute. Originaire de la ville martyre de Marioupol, il a du mal à contenir son émotion lorsque nous réussissons enfin à le joindre : « L’espoir imprégné de désespoir est notre état d’esprit actuel. Dès les premiers jours de la guerre, nous avons compris que des frappes de missiles contre Kiev étaient possibles et nous avons commencé à nous préparer à un mode de fonctionnement autonome ».

« Nous avons déménagé 300 lits au sous-sol, nous nous sommes procuré et nous avons connecté un gros générateur, constitué un stock de trois mois de nourriture, foré un puits connecté à un générateur séparé, nous sommes passés à une chaufferie autonome qui fonctionne au bois déchiqueté », détaille-t-il.

© Anton Humeniuk

À Vinnytsia, au sud-ouest de Kiev, à 120 km de la frontière moldave, le Centre régional d’oncologie de Podilsk accueillait avant la guerre jusqu’à 90 000 patients par an. Dans cet établissement de près de 400 lits, même s’il n’est pas proche de la ligne de front, la logistique a dû s’organiser pour faire face aux pénuries.

« Notre centre fait partie d’une infrastructure critique et il a un régime spécial pour l’approvisionnement en eau, cependant, nos équipes techniques ont installé des réservoirs d’eau qui sont actuellement remplis et nous procurent une certaine élasticité lors des coupures » confie Savva Mahdebura. Le Centre a aussi misé sur les groupes électrogènes : « ils garantissent l’alimentation de nos services les plus critiques, comme les services chirurgicaux ou la réanimation… ».

Adapter les chaînes logistiques

Borys Todurov © DR

Borys Todurov le confirme, à Kiev, dans les premiers mois de la guerre, toute la logistique d’approvisionnement a été perturbée : « De nombreuses entreprises ont fermé leurs entrepôts et ont quitté Kiev. Face à cette situation, des bénévoles et nos collègues étrangers d’Europe et d’Amérique nous ont beaucoup aidés et ont envoyé les consommables et médicaments nécessaires à notre demande. »

« Dans les services techniques et logistiques, des employés ont été appelés au service militaire, d’autres sont partis sur les théâtres d’opérations et sur le front, mais cela n’a pas vraiment affecté le travail de l’Institut », même s’il convient que les équipes de son établissement ont perdu près de 10 % de leurs effectifs, aujourd’hui difficiles à remplacer.

« Désormais, nous vivons comme dans un sous-marin, tous nos systèmes de survie sont autonomes, nous pouvons travailler pendant des semaines et traiter des patients sans sources externes. Nous avons fait un approvisionnement en sang et en plasma et avons connecté les réfrigérateurs à un générateur séparé ».

Prévenir les ruptures d’approvisionnement

« Dès les premiers jours de la guerre, l’usine pharmaceutique “Darnitsa”, à Kiev, (classée dans le Top 25 des meilleurs laboratoires d’Ukraine) nous a beaucoup aidés, mettant gratuitement à notre disposition tous les médicaments dont nous avions besoin, mais maintenant, les livraisons se sont améliorées et nous travaillons selon la méthodologie standard habituelle », témoigne Borys Todurov.

Savva Mahdebura © DR

À Vinnytsia, au Centre régional d’oncologie de Podilsk, Savva Mahdebura ne peut que constater l’extrême complexité des approvisionnements : « Il n’y a bien sûr plus d’approvisionnement de la part des entreprises de l’est de l’Ukraine, dit-il, nous recherchons des sources alternatives privilégiant la stabilité des approvisionnements et un prix compétitif. Certains fournisseurs ont purement et simplement disparu ou cessé leurs activités en Ukraine. Mais dans le même temps, la fourniture de l’État aux institutions médicales s’est améliorée, et nous recevons l’essentiel de ce dont nous avons besoin pour assurer le traitement des patients. Nous faisons tout notre possible pour qu’ils ne ressentent pas ces changements ».

Anton Humeniuk de l’ONG HFE © DR

Que ce soit à Kiev ou à Vinnytsia, comme dans tous les hôpitaux ukrainiens, le concours des ONG permet de tenir le coup : « Les Suisses nous ont beaucoup aidés, et tout particulièrement l’ONG Humanitarian For Empowerment pour l’approvisionnement en consommables et en médicaments, en collaboration, par exemple, avec la logistique du Centre hospitalier universitaire vaudois, à Lausanne » (lire notre article du 7 mars 2022)

Appel à la solidarité des logisticiens français

Les contacts avec des centres hospitaliers français sont également nombreux, comme tient à le souligner Borys Todurov en évoquant son déplacement à l’Hôpital Européen Georges Pompidou. Mais, aussi bien pour les responsables des approvisionnements du Heart Institute de Kiev  que pour ceux du Centre régional d’oncologie de Podilsk les besoins restent importants et ils comptent sur la solidarité hospitalière.

© Anton Humeniuk

« Nous manquons encore de matériel que nous ne pouvons pas acheter et dont nous avons absolument besoin pour travailler et nous comptons sur vous, demande Borys Todurov : appareils de circulation extra-corporelle, échocardiographes les plus sophistiqués, échocardiographe mobile avec sonde œsophagienne, appareils de dialyse, défibrillateurs, « cell savers », ambulances… ».

Au Centre régional d’oncologie de Podilsk, Savva Mahdebura compte lui aussi sur l’aide française : « Je diviserais les domaines d’aide possibles en deux catégories, ce sont bien sûr des médicaments : des médicaments de chimiothérapie et même des médicaments simples dont nous avons besoin au quotidien. Nous avons également besoin d’instruments chirurgicaux et d’appareils de bio soudure qui facilitent grandement le travail au bloc opératoire ».

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