Les hôpitaux suisses se préparent au scenario d’un black-out

Dans les hôpitaux suisses, les responsables de la logistique partagent la même crainte qu’en France sur les risques de pénurie d’énergie cet hiver. Ils doivent subir eux aussi la mise à l’arrêt de la moitié de nos centrales nucléaires qui couvraient une bonne partie de leurs besoins et jongler avec leurs mix énergétiques. Et ils cherchent donc des parades pour faire face.

 

© Epictura

Dans les hôpitaux suisses, on se prépare au pire : le black-out. Au sein des directions de la logistique, ça phosphore d’autant plus qu’un plan en quatre phases est déjà prêt à l’échelle fédérale,  pouvant ensuite être décliné dans chaque canton. La Suisse était prête depuis longtemps. Émanation de l’ancienne “Organisation de guerre des usines électriques“ (c’est tout dire), l’Organisation für Stromversorgung in Ausserordentlichen Lagen existe en effet depuis plus de trente ans. Elle est chargée de procéder à l’exécution des mesures que le Conseil fédéral peut prendre par ordonnances, comme lorsque l’on en arrive au niveau 4, à savoir des délestages de 4 h répartis selon les zones géographiques.

L’envers du décor écologique

Qu’il s’agisse d’une unité bas carbone high-tech comme l’hôpital Riviera-Chablais, au pied des Alpes (lire notre article du 17 janvier 2022), d’une extension ultramoderne adossée à un bâtiment existant comme celle de l’hôpital de Nyon, sur les rives du Léman (lire notre article du 22 février 2021), ou qu’ils aient investi dans les énergies renouvelables comme l’Hôpital Intercantonal de la Broye sur son site d’Estavayer, au bord du lac de Neuchâtel (lire notre article du 2 juin 2021), pratiquement tous les établissements suisses sont logés à la même enseigne. Mais, paradoxalement, ceux qui ont développé les solutions les moins énergivores pourraient être touchés autant que les autres.

Brian Coley

Comme à Estavayer où plus de 200 000 litres de fioul devaient pourtant économisés chaque année avec le remplacement de la chaudière par deux pompes à chaleur alimentées grâce à l’eau puisée dans le lac de Neuchâtel : « Sans électricité, nos pompes ne tournent pas, c’est tout simple, explique Brian Coley, directeur de la logistique et des systèmes d’information de l’hôpital intercantonal de La Broye, et même si nous n’en dépendons qu’à hauteur de 15 % de nos besoins, nous pourrions tenir 5 jours sans chauffage avec notre groupe électrogène de secours en cas de black-out total ».

Simulation d’une coupure générale

La situation du site principal de Payerne serait en revanche bien plus problématique : « Contrairement à Estavayer, ils doivent alimenter les urgences, le scanner, l’IRM et le bloc, dit-il, mais leurs cuves sont pleines à ras bord pour alimenter leurs groupes électrogènes de secours et la chaudière, et ils ont environ 1 mois d’autonomie à pleine charge ». Du coup, Brian Coley veut tout de même assurer ses arrières et tester à Payerne l’hypothèse d’un black-out : « Pendant 45 minutes nous allons simuler une panne totale à charge complète ». À 10h, le 14 novembre, l’hôpital de Payerne sera plongé dans le noir et les groupes devraient prendre le relais. Ou pas…

Bruno Weiss © GHOL

Un black-out généralisé ? Dans le canton de Vaud, Bruno Weiss n’écarte pas l’hypothèse. Pour le directeur du département de logistique hospitalière de l’hôpital de Nyon, le plus important des trois établissements du groupement hospitalier de l’Ouest Lémanique, le quatrième niveau d’alerte fédéral serait encore supportable, mais, même si l’extension de 15 000 m2 répond au label Minergie, les deux nouvelles chaudières basse consommation doivent également alimenter les 20 000 m2 de l’hôpital existant.

Dépendance au gaz

« En 2018, nous avons été le premier hôpital à signer la convention cantonale sur objectif visant à réduire de 20 % la consommation sur 10 ans, déclare-t-il, et nos propres objectifs nous permettent d’envisager une réduction de nos volumes pouvant atteindre 30 % ». Mais ne croyez pas pour autant qu’il soit aveugle : « Il faut nous attendre à une pénurie d’énergie, et les choix qui ont été faits pour réduire nos consommations peuvent désormais représenter un risque en cas de rupture d’approvisionnement ». La preuve, d’un mix énergétique gaz/fioul, l’hôpital de Nyon est passé à une totale dépendance du gaz pour diminuer le montant de sa facture de chauffage.

« Nos générateurs de secours nous permettraient d’alimenter l’hôpital pendant 72 h, alors si nous pouvons absorber le quatrième échelon fixé au niveau fédéral avec des délestages tournants de 4 h, impossible de contenir le choc sur la durée si le fioul venait à manquer ». Bruno Weiss ne veut pas faire peur mais, selon lui, le pire doit être envisagé : « Même s’il est très faible, le risque existe, s’inquiète-t-il, le canton s’y prépare, mais s’il n’y a plus de fioul, plus de gaz ni d’électricité, ce ne sont pas les panneaux solaires qui feront fonctionner l’hôpital ! ».

Tenir trois jours

© T.Jantscher

Stephan Berbiers est chef du bureau technique de l’hôpital Riviera-Chablais, un bâtiment flambant neuf labellisé Minergie. « La puissance nominale de l’hôpital s’établit à 3 MW, explique-t-il, et généralement, sur une période courte, avec ses 3 330 capteurs photovoltaïques installés en toiture, le solaire peut monter quant à lui jusqu’à 1 MW, 30 % de la puissance nominale ». L’hôpital Riviera-Chablais consomme 7,5 GWh par an et le solaire arrive à couvrir 15 % d’une facture annuelle qui s’élève à plus d’un million d’euros : « Et cette année, nous avons produit 10 % de plus que nos prévisions ».

Stephan Berbiers

Mais la confédération reste très dépendante des autres pays européens et l’ensoleillement exceptionnel de cet été a un revers : « Nous avons beaucoup de barrages en Suisse, mais ils ne couvrent que 15 % de nos besoins et ne se remplissent pas par miracle, dit-il, nous devons jongler avec nos mix énergétiques en achetant en France de l’énergie nucléaire durant la nuit (à un coût moins élevé que durant la journée) pour avoir le temps de laisser nos barrages se remplir ».

Cependant, pour cet ingénieur en électricité, les coupures de 4 h prévues à la quatrième phase du plan fédéral peuvent être absorbées sans difficulté : « Nos générateurs et nos réserves de fioul peuvent nous permettre de tenir durant trois jours entiers sans refaire le plein ». Reste que, pour lui, il est trop tard pour s’attendre au pire et les hôpitaux doivent faire avec. Ou plutôt sans. Mais à quel prix ?

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