Le recours à l’article L 2112-4 : entre théorie et réalité

En dépit des discours sur l’achat souverain, de nombreux acheteurs ne sont pas à l’aise avec l’article L 2112-4 du Code de la commande publique qui les autorise à demander, dans certains cas, que les moyens utilisés pour exécuter un marché soient localisés sur le territoire de l’Union. Jugeant le texte trop flou, certains attendent des éclaircissements de la DAJ de Bercy.

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L’acheteur a la possibilité d’imposer que « les moyens utilisés pour exécuter tout ou partie d’un marché, pour maintenir ou pour moderniser les produits acquis soient localisés sur le territoire des Etats membres de l’Union européenne afin, notamment, de prendre en compte des considérations environnementales ou sociales ou d’assurer la sécurité des informations et des approvisionnements. » L’article L 2112-4 du CCP – comme l’instruction de la DGOS du 15 décembre 2021 (lire notre article du 5 janvier 2022), même si elle est pour l’instant limitée aux EPI – a ouvert une brèche en faveur des fournisseurs installés dans l’Union.

Franck Guyot

« Ces considérations permettent donc d’exclure les candidats trop éloignés, voire les candidats non communautaires », estime Franck Guyot, coordinateur régional de la thématique achats de l’ARS Paca, lorsque les conditions d’exécution nécessitent une certaine célérité, ou de rendre la supply chain moins dépendante des aléas politiques ou économiques. Plusieurs pouvoirs adjudicateurs ont déjà actionné le dispositif dans ce but : le consortium Re-uni au sujet de masques (lire notre article du 19 mars 2021) et le GHT 44 pour des gants (lire notre article du 10 février 2022).

Risque juridique ?

Pour autant, les acheteurs restent partagés. Il y a tout d’abord les juridico-sceptiques, dont Thomas Maréchal. Le directeur des achats, des équipements, des fonctions logistiques et hôtelières du groupement hospitalier Brocéliande Atlantique l’avoue sans difficulté, l’article L 2112-4 et l’instruction de la DGOS du 15 décembre 2021 ne le rassurent pas vraiment : « La démarche est balbutiante à notre niveau, nous estimons qu’il y a un risque juridique et nous sommes frileux sur le sujet ».

À Toulon, Pierre Laramy s’interroge lui aussi. « Article 2112-4 ou pas, on peut légitimement attendre une définition plus précise du “localisme“ et de ses limites, même si, convient le directeur de la commande publique de Var Habitat, en tant qu’office public de l’habitat, la majorité de nos achats sont effectués dans le département puis en région, sans qu’il soit nécessaire d’intervenir outre mesure sur les critères ou les cahiers des charges, confie-t-il, la nécessité de localiser la production sur le territoire européen n’est pas pour nous un sujet de préoccupation premier ».

Il y a tout de même des acheteurs (un peu) moins sceptiques que d’autres, même si, comme Franck Guyot, ils trouvent que le processus n’est pas complètement abouti : « Il y a encore beaucoup de pédagogie à effectuer afin que les acheteurs puissent être juridiquement à l’aise avec l’article 2112-4, déclare le coordinateur régional de la thématique achats de l’ARS Paca, un travail doit être fait afin de savoir jusqu’où aller trop loin, et un appui juridique serait nécessaire afin de rassurer les acheteurs ».

Un article jugé trop flou

Christophe Amoretti-Hannequin

Les collectivités sont également dans le vague. Directeur finance responsable et achat de France Urbaine, Christophe Amoretti-Hannequin s’interroge. Il souhaiterait avoir des éclaircissements de la DAJ. Des éclaircissements, mais surtout des exemples : « Qu’entend-on exactement par “filière stratégique” ? Sécuriser les approvisionnements, oui, mais lesquels ? ». Il s’interroge également sur les considérations environnementales : « Dans quels cas les invoquer ? ».

Pour lui, ce sont ces interrogations qui expliquent que l’article 2112-4 soit si peu utilisé par les collectivités. Il le confesse sans aucune difficulté : « Je ne sais pas où l’on va ». Un point de vue que partage Jean-Michel Durand, directeur adjoint de la commande publique et des achats, chef du service achats de la Région Sud : « Cet article est trop flou, dit-il, autant l’instruction de la DGOS du 15 décembre 2021 est claire, même si elle est malheureusement limitée aux masques, autant l’article 2112-4 couvre un champ trop vaste avec des considérations qui doivent être précisées ».

Quel impact pour les entreprises locales ?

Est-ce que les dispositions de l’article 2112-4 peuvent présenter un réel intérêt pour les entreprises locales, surtout lorsque le localisme s’étend jusqu’aux confins de l’Union ? Expliquer aux entreprises de votre région que l’attributaire se trouve à Helsinki ou à Nicosie, ce n’est pas gagné. Directrice des achats et des ressources matérielles du centre hospitalier d’Arles, Sylvie Pigeron, s’interroge sur le calcul précis des retombées “vraiment” locales : « La mise en œuvre étant principalement assurée au niveau du GHT des Hôpitaux de Provence auquel nous sommes rattachés, il nous est très difficile à ce stade de mesurer l’impact de nos achats sur l’économie locale, d’autant que nous disposons d’aucun outil pour le faire… ».

 

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