Contentieux : le référé secret des affaires sort du bois

Jusqu’ici inutilisé en matière de marchés publics, le référé « secret des affaires » commence à faire parler de lui. Saisi par le biais de cette procédure, un juge administratif vient d’enjoindre à un acheteur de suspendre l’analyse des offres, en raison des liens qui unissait l’assistant à maîtrise d’ouvrage à l’un des soumissionnaires. La personne publique avait pourtant essayé de prévenir le danger en demandant aux candidats de déposer une offre anonymisée.

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Introduit dans le Code de justice administrative (article R. 557-3 ) grâce au décret du 30 décembre 2019, le référé « secret des affaires » permet de saisir le juge pour prévenir ou faire cesser une atteinte au secret des affaires. Pour l’instant, on compte, a priori, sur les doigts d’une seule main ce type de contentieux s’agissant de la commande publique.

Risque d’atteinte au principe d’impartialité

En 2020, le TA de Nancy avait déjà été amené à se prononcer sur un marché d’assurances passé par un GHT. Un soumissionnaire avançait que l’assistant à maîtrise d’ouvrage, qui avait travaillé par le passé au profit de l’un des candidats, était en situation de conflit d’intérêt. Et que cette proximité présentait un risque d’atteinte au principe d’impartialité. Pour mémoire, l’article L 2141-10 du CCP autorise dans ce cas l’acheteur à exclure les personnes participant à la procédure et dont les intérêts financiers ou personnels pourraient compromettre leur indépendance de vue.

Dans ce dossier, le TA lorrain avait déjà favorablement accueilli la requête en référé secret des affaires, au motif qu’il y avait un réel risque d’impartialité de l’AMO. Cette procédure avait été simultanément doublée d’un référé précontractuel, que le juge avait finalement rejeté au motif que la lésion n’était pas établie à la date de l’ordonnance.

Offre rendue anonyme

La même problématique a été traitée lors d’une affaire plus récente, jugée il y a deux semaines. De nouveau, l’entreprise candidate porte devant le juge les liens entre l’assistant à maîtrise d’ouvrage et un soumissionnaire. Et elle soutient que les documents constitutifs de la candidature et de l’offre remis avant la signature du marché sont couverts par le secret des affaires. Par voie de conséquence, ils ne peuvent être remis à un tiers, dès lors qu’il existe un risque de concurrence déloyale et une rupture d’égalité de traitement des candidats.

Alerté lors de la consultation, l’acheteur avait modifié son RC et demandé aux entreprises de présenter une offre anonymisée. Devant le TA, il met en avant qu’il n’est pas démontré que l’assistant à maîtrise d’ouvrage ait déjà manqué à ses obligations de confidentialité par le passé.

Interdiction de communiquer les offres

Le juge, s’il ne choisit pas d’ordonner la résiliation du marché, enjoint à l’acheteur d’interdire l’accès à l’ensemble des documents déposés par les soumissionnaires ou l’échange d’informations à leur sujet, et, dans l’attente, de suspendre l’analyse de l’ensemble des candidatures.

Il admet, au vu de l’intensité et du caractère récent des liens unissant l’un des soumissionnaires avec l’assistant à la maîtrise d’ouvrage, l’existence d’une atteinte imminente au secret des affaires. Et il considère que les mesures prises par l’acheteur ne suffisent pas, particulièrement sur un marché faiblement concurrentiel. Il est en effet facile d’identifier une offre, étant donné le petit nombre d’acteurs. La semaine dernière, le TA de Guadeloupe a jugé de manière identique une affaire similaire.

Comment, côté acheteur, se prémunir du danger ? La question est délicate. Difficile de jeter l’anathème sur un consultant appelé à aider une personne publique à préparer le marché ou expertiser les offres, pour le simple fait qu’il a travaillé dans le passé avec l’un des candidats.

Vérification des liens : le minimum syndical

Rodolphe Rayssac

« Le premier réflexe pourrait être d’interroger l’AMO sur ses éventuels liens avec les candidats potentiels. Cette précaution nous semble plus opportune qu’un accord de confidentialité dont la portée n’a pas été jugée convaincante pour le TA », recommande Me Rodolphe Rayssac, avocat au cabinet Rayssac. « Toutes ces précautions ne suffisent pas forcément », ajoute-t-il aussitôt, « la difficulté réside dans le fait qu’il est très difficile de s’assurer que l’assistant à maîtrise d’ouvrage n’a pas de liens avec l’un des soumissionnaires. Le risque pouvant exister, selon l’étendue de ses missions, dès le stade de la rédaction du cahier des charges, et plus encore au stade de l’analyse. » Plus facile à dire qu’à faire en effet.

« En général, l’acheteur, prévenu par des candidats, le découvre après le lancement de la consultation », rappelle l’avocat. Dans ce cas, mieux vaut demander à l’AMO de s’expliquer sur l’état de ses relations avec les différents soumissionnaires. La personne publique aura toujours le loisir de stopper la procédure en cours, voire de résilier son contrat avec l’AMO, avec le risque de déclencher un contentieux. « La situation doit être flagrante pour emporter le conviction de l’acheteur. Sinon, cela relèvera du travail du juge », conclut Me Rayssac.

Référence : TA de Nancy 4 novembre 2020, n°2002618, TA de Montreuil, n°2106741, 1er juin 2021, et TA de la Guadeloupe, 9 juin 2021, N°2100560.

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