Sarah Ouanhnon, une Française au cœur des achats durables du NHS

Atténuer l’impact du changement climatique : c’est à cette vaste tâche que s’attelle le National Health Service (NHS). L’organisation britannique a choisi une Française, Sarah Ouanhnon, pour piloter les sujets du programme For a Greener NHS (pour un NHS plus vert) en lien avec les achats, les médicaments et l’alimentation. Elle nous partage les enjeux de cette politique durable unique en Europe et, en particulier, de la stratégie « Net zéro ». Car, à partir de 2024, les entreprises sans plan de réduction carbone de leurs émissions directes ne pourront plus répondre à aucun appel d’offres.

achat-logistique.info : Qu’est-ce que la stratégie NHS Net zéro ?

Sarah Ouanhnon : « En 2020, le programme « For a greener NHS » a été lancé. Il se décline en feuilles de route pour atteindre un double objectif : atteindre le « net zéro » concernant toutes les émissions sur lesquelles le NHS a un contrôle direct d’ici 2040. L’échéance est étendue à 2045 pour les émissions que le NHS n’impacte que de manière indirecte.

Les cibles ont été fixées suite à un gros travail de modélisation en partenariat avec le Lancet Countdown. Ce sont des objectifs ambitieux mais réalistes qui s’appliquent au sein du NHS (interventions directes) et à ses partenaires (interventions indirectes).
Les trajectoires sont fixées au niveau central et chaque acteur du NHS doit les décliner dans des « plans verts » d’une durée de 3 à 5 ans. Sept équipes régionales accompagnent les professionnels sur le terrain. La force du NHS est qu’il regroupe toute l’offre de soins en Angleterre, des CHU aux médecins généralistes.

Depuis 2020, des systèmes de soins intégrés (ICS) ville-hôpital facilitent encore plus la coordination. Avoir une organisation centralisée permet de dérouler les projets en cascade, mais la démarche est aussi ascendante. Certains hôpitaux sont plus avancés sur certains sujets et deviennent des pilotes. »

achat-logistique.info : Comment la stratégie NHS Net zéro se décline-t-elle pour la fonction achats ?

Sarah Ouanhnon : « Depuis 2020, un travail sur l’offre et la demande est réalisé. Sur la partie demande, les équipes du NHS soutiennent des actions qui visent à diminuer le recours aux fournitures à usage unique, à donner une deuxième vie aux équipements… Sur la partie offre, un travail a été réalisé avec les fournisseurs. En effet, l’objectif 2045 inclut toute la chaine d’approvisionnement. L’engagement, c’est qu’avant 2030 le NHS n’achète plus à des fournisseurs qui ne se sont pas engagés publiquement à atteindre « net zéro » d’ici 2045.

Une feuille de route a été publiée fin septembre 2021 pour donner aux fournisseurs l’opportunité d’aligner leurs plans d’actions durables :

– à partir d’avril 2022 : tous les appels d’offre vont inclure au minimum 10 % du score final sur le domaine « net zéro et valeur sociale ».
– à partir de 2023 : application de critères qualifiants pour les appels d’offre sur les contrats de plus de 5 millions annuels. Les entreprises sans plan de réduction carbone sur leur émissions directes ne pourront pas répondre.
– en 2024, cette condition s’appliquera à tous contrats, quel que soit leur montant.
– en 2027, tous contrats et toutes les émissions seront englobés. Tous les fournisseurs devront avoir un plan de réduction carbone publié et accessible, portant sur toutes leurs émissions directes et indirectes et aligné sur les objectifs 2045 du NHS.

Les PME et les organisations sans but lucratif bénéficient d’un délai supplémentaire de deux ans. A partir de 2022, une plateforme sera mise en place avec les fournisseurs pour suivre l’avancée sur la feuille de route, faciliter le partage des actions et la labellisation des entreprises… Ce cadre sera la source unique d’information sur les fournisseurs, de manière à limiter l’impact en charge de travail pour les équipes locales. Pour l’instant, aucun renchérissement des prix n’est attendu. Il faut que le développement durable soit intégré par les fournisseurs dans leur fonctionnement en routine.

achat-logistique.info : Pouvez-vous nous donner un exemple pratique de la mise en œuvre de la stratégie NHS Net zéro ?

Sarah Ouanhnon : « Lors de la préparation des objectifs « Net zéro », nous avons étudié l’empreinte carbone des médicaments, qui s’élève à 25 % des émissions à l’échelle du NHS ! Sur ces 25 %, 2 % des émissions directes sont liées aux gaz anesthésiques et 3 % aux aérosols et inhalateurs. Les 20 % restant viennent de la production et la chaine d’approvisionnement.

Les gaz anesthésiques n’ont pas tous le même potentiel d’impact sur le réchauffement climatique. L’objectif est d’encourager des changements de pratique pour utiliser en priorité ceux qui ont un moindre impact (lire notre article sur l’hôpital de Bristol). Le NHS travaille aussi avec l’industrie pour trouver des solutions pour capturer les gaz et soit les réutiliser, soit les détruire.

Concernant les inhalateurs, les aérosols en flacons pressurisés, utilisés pour l’asthme par exemple, contiennent un gaz qui a un énorme potentiel de gaz à effet de serre lorsqu’il est relâché dans l’atmosphère au moment de l’utilisation et quand on jette le flacon, même vide. Dans certains cas, il existe des alternatives comme des inhalateurs à poudre sans gaz et des brumisateurs qui ont une empreinte carbone largement inférieure, ou, lorsque ces derniers ne sont pas indiqués, des aérosols pressurisés contenant moins de gaz.

C’est une politique très intéressante qui allie qualité des soins et environnement. Un nouveau dispositif de rémunération sur objectif incite les réseaux de médecins généralistes à revoir les patients sous aérosols pour voir si le traitement peut être optimisé et potentiellement changer le type d’inhalateurs (au mieux à poudre, sinon ceux à gaz avec une moindre empreinte carbone).

Cette démarche s’inscrit dans le travail sur le contrôle de l’asthme mené en Angleterre : la bonne pratique préconisée est de prescrire des traitements de fond (corticostéroïdes, voir les recommandations de la NHS en la matière). Les médecins sont encouragés à discuter avec les patients de l’importance d’une bonne observance et d’une bonne technique d’utilisation, et de l’usage des inhalateurs d’urgence, ce qui à terme devrait améliorer l’état de santé des patients et réduire les émissions carbone.

Les pharmaciens ont aussi un incitatif financier dans leurs plans qualité pour vérifier que les patients savent utiliser les inhalateurs et les sensibiliser à l’importance de les ramener à la pharmacie quand ils sont vides pour qu’ils soient incinérés. L’incinération permet de détruire les gaz au lieu de les libérer dans l’atmosphère. Comme les inhalateurs en poudre ne sont pas recommandés pour tous les patients, le NHS travaille aussi avec l’industrie pour développer un gaz propulseur sans effet de serre d’ici 2025-2026.

C’est un exemple de démarche globale menée par le NHS pour travailler avec les équipes de terrain à un changement de pratiques durable, dans l’intérêt de l’environnement mais aussi de la qualité des soins. »

Pour connaître le bilan de « Net Zéro »

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