Embouteillage annoncé pour le marquage CE des DM

Conséquence du règlement européen de 2017, les dispositifs médicaux déjà sur le marché ont jusqu’en mai 2024 pour obtenir la certification exigée par le nouveau cadre. En raison du faible nombre d’organismes notifiés, de la masse des dossiers à traiter et des délais d’examen, les industriels du secteur s’inquiètent de l’engorgement à venir. Avec à la clef le risque de disparition de références, voire de fournisseurs, et des ruptures d’approvisionnement. C’est pourquoi le SNITEM et le BV Med, son homologue allemand, plaident pour un prolongement de la période de transition.

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Lorsque le nouveau règlement européen 2017/745 – fruit de longues années de réflexion et d’échanges – est né, tout le monde l’a applaudi. Normal : il oeuvrait en faveur d’une plus grande sécurité et d’une meilleure qualité des DM, et bénéficiait donc, in fine, aux patients. Nombre de dispositifs médicaux ont été placés dans une classe plus élevée (de la classe 1 vers la classe 2b par exemple pour certains logiciels ou de la classe 2b vers la classe 3 par exemple pour les implants du rachis). Et la documentation du rapport bénéfice/risque a été renforcée.

Encore deux ans pour se mettre en conformité

Aujourd’hui, si la philosophie du texte n’est absolument pas remise en cause, force est de constater que son application patine. Car tous les DM, y compris ceux existants depuis plusieurs années, doivent obtenir le certificat exigé par le nouveau cadre. Une période de transition a été accordée. Les matériels disposant d’un certificat valide au titre des précédents textes ont jusqu’au 26 mai 2024 pour se mettre en conformité. Ceux présents dans les circuits de distribution pourront être écoulés jusqu’en mai 2025. Après cette date, ils devront être retirés du marché.

Plus exigeant, le règlement 2017/745 a pour conséquence d’obliger les différents acteurs à revoir leur copie de fond en comble : réécriture de la documentation technique, adaptation du système du management de la qualité, évolution des procédures de certification chez les organismes notifiés (ON). Les acteurs ont dû s’approprier le texte et assimiler 82 guides (plus de 1000 pages) publiés à la suite. « On a toujours autant de questions », a toutefois observé Lionel Dreux, président de GMED, organisme notifié français, lors d’une journée consacrée au sujet par le SNITEM le 14 mars.

Plus d’un an pour obtenir une certification

Résultat, les délais pour obtenir le précieux sésame se sont allongés. Auparavant 9 à 12 mois. Actuellement 12 à 18 mois. Pour Caroline Daurelle, directrice des affaires réglementaires de Medtronic, le point noir, c’est l’absence de visibilité sur les délais de retour des ON. Lesquels avouent avoir du mal à trouver les renforts nécessaires. D’autant qu’il faut former le personnel aux nouvelles règles. « il faut 18 mois pour disposer d’un auditeur opérationnel », a indiqué Françoise Schlemmer, directrice de Teams NB, association des ON européennes.

Facteur aggravant, le nombre d’ON a lourdement chuté. On en recense aujourd’hui seulement 27, contre 80 en 2012. Le temps nécessaire lié aux nouveaux protocoles d’évaluation pour agréer les auditeurs a sans doute été sous-estimé.

Goulot d’étranglement et ruptures d’approvisionnement

A l’approche des dates fatidiques, les industriels tirent donc la sonnette d’alarme. Car un embouteillage monstre pointe à l’horizon. Selon une estimation de la Commission européenne, les certificats arrivant à expiration vont se bousculer au portillon. Environ 2400 cette année. Le double en 2023. Et 17 937 en 2024. Or, selon Teams NB, la capacité d’absorption des ON ne dépasse pas 6300 dossiers par an.

Résultat : certaines références pourraient manquer à l’appel. « Il y a un risque de rupture d’approvisionnement à la fin de la période dite de grâce », a prévenu Guirec Le Lous, président d’Urgo Médical. « Il y a des déjà des cathéters et des prothèses que nous ne commercialisons plus », a renchéri Stephane Regnault, président de Vygon. Des entreprises pourraient aussi être rayées de la carte. 10 % des fabricants de DM Outre-Rhin, selon les estimations de BV Med, homologue allemand du Snitem.

L’autre danger, c’est la capacité amoindrie des entreprises à innover. Car, chez plusieurs fabricants, les équipes R&D sont mobilisées pour alimenter les dossiers de certification. « Dans cinq ans, le réveil risque d’être brutal », a asséné Guirec Le Lous. Depuis un an, une quinzaine d’ingénieurs se consacre à 100 % au sujet chez Peter Surgical.

Les industriels plaident pour un report de la période de transition

Réunis lors de la journée du SNITEM, les différents protagonistes ont avancé des solutions. Teams NB a suggéré aux pouvoirs publics d’autoriser les audits hybrides, sur site et en distanciel, pour gagner du temps. La Commission européenne, consciente des dangers de saturation, exhorte les fabricants à ne pas attendre la fin de la période de transition pour déposer une demande de certification.

De leur côté, les industriels tiennent peu ou prou le même langage. Il faut trouver une issue et vite. Faisant front commun, le SNITEM et BV Med proposent de modifier le règlement européen et de reporter la période de grâce, de 2 ans pour les DM hautes classes de risque, et de 4 ans pour les autres. Avec un mécanisme permettant la mise sur le marché des DM déjà existants quelle que soit la date de fin de validité du certificat.

Augmenter la capacité des ON

Ils proposent également d’augmenter la capacité des ON, par exemple en raccourcissant le temps nécessaire pour désigner les ON et en incitant des organismes à postuler. De quoi dégager de la « bande passante ». Car en plus des stocks de DM existants, s’ajouteront les nouveaux produits. Les deux fédérations prônent le pragmatisme en faveur de ces derniers, avec notamment une surveillance appropriée, la simplification des processus de consultation, la délivrance de certificats sous conditions, et la reconnaissance de tous les paramètres pertinents pour l’évaluation clinique comme les données post-marché et d’équivalence.

À problème européen, réponse européenne. La balle est donc dans le camp des Etats membres et de la Commission. Pour autant, la France a décidé d’agir de son côté. Dévoilé fin février, le plan « DM innovants » prévoit une enveloppe de 30 millions d’euros destinée à faciliter l’accès au marché. Dans ce cadre, un guichet « diagnostic règlementaire DM » sera opéré par Bpifrance avec des experts susceptibles de conseiller les industriels dans la rédaction de leur dossier de marquage CE (ou dans la mise en place d’un système de management de la qualité) tout en prenant en charge une partie du coût de l’expertise proposée.

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