Vaccins : à – 80°C, la logistique de l’extrême

Les vaccins tant attendus contre le coronavirus arriveraient-ils finalement trop tôt ? En raison de la température très basse à laquelle ils doivent être conservés, les précieux sérums impliquent une chaîne logistique particulière et des équipements de stockage spécifiques dont ne disposent pas forcément tous les établissements de santé.

© Epictura

« On assiste actuellement à la plus grande opération logistique conduite depuis la fin de la seconde guerre mondiale ». Même si ce directeur d’Ehpad déplore un manque cruel d’informations opérationnelles, il est conscient des difficultés : « Il faut laisser à l’État le temps de s’organiser, mais j’aimerais savoir quoi dire aux familles des résidents et au personnel qui souhaite être vacciné ». Pierre Gouabault résume bien la situation actuelle, même si elle diffère nettement d’une région à l’autre. Le sentiment qui prédomine, même chez les plus optimistes, c’est en effet le manque de communication.

Attente de super-congélateurs

Alors que l’ARS des Hauts-de-France annonçait il y a huit jours déjà que le CHU de Lille et six autres centres hospitaliers seraient équipés de super-congélateurs nécessaires à la conservation des vaccins, dans d’autres régions, logisticiens et pharmaciens restent dans le brouillard. « C’est par Corse Matin que nous venons d’apprendre que nous serions dotés de super-congélateurs », tempêtent à Bastia et à Ajaccio des cadres hospitaliers qui s’interrogent sur leur contenance et leur date de livraison.

Contactée par nos soins, l’ARS insulaire s’en défend : « Les directeurs d’établissements et les pharmaciens, responsables des PUI, ont été prioritairement informés car les vaccins sont des produits de santé dont l’acheminement et la conservation s’inscrivent dans un cadre technique exigeant, garantissant la sécurité sanitaire des process et produits ».

Six plateformes logistiques

La Direction générale de la santé (DGS) confirme que « les ARS joueront un rôle majeur au sein de cette approche territorialisée ». ». La machine semble lancée : « Des “essais à blanc” à destination des hôpitaux ont lieu actuellement pour assurer le bon fonctionnement de la chaine logistique telle qu’envisagée ». C’est-à-dire un transport et un stockage au sein d’environ six plateformes logistiques et d’une centaine d’établissements de santé, un par département, dotés d’équipements frigorifiques capables de maintenir les précieux antidotes à une température de -80°C.

Maxime Villiet

À Montpellier, même s’il constate que « tout s’est un peu emballé ces derniers temps », Maxime Villiet, chef du pôle pharmacie du CHU, a été rassuré par l’ARS Occitanie : « Santé Publique France va nous livrer un congélateur à -80°C, car ceux dont nous disposons pour la biologie sont pleins, mais je ne connais pas encore sa capacité de stockage ».

Mais Maxime Villiet ne veut pas être pessimiste : « Ce n’est pas dans ma nature, pourtant il reste encore des zones d’ombre notamment pour le transport. L’agence doit nous apporter une aide pour approvisionner les hôpitaux mais nous ne savons pas encore sous quelle forme et à quelle cadence ». Il s’interroge également sur la mise à disposition des seringues, des aiguilles, des gants et des collecteurs de déchets contaminés ». Pour lui, une bonne coordination des pharmacies hospitalières sera aussi l’une des clés du succès.

Maintien compliqué de la chaîne du froid

Coffi Gnanguenon

Pour le stockage, Coffi Gnanguenon, directeur des achats médicaux du Resah, est confiant : « Aujourd’hui, même si le marché est très volatil, nous pouvons fournir des congélateurs à -80°C, PHC France, anciennement Panasonic, peut nous en livrer dans un délai moyen de deux semaines ». Une annonce qui calmera sans doute les inquiétudes du CH du Pays d’Aix-en-Provence : « Nous disposons d’un congélateur à -80°C, mais il nécessite une réparation et nous ne savons pas à ce jour s’il sera exploitable à temps ».

Nicolas Coste

À Marseille, Nicolas Coste, responsable des achats de la pharmacie de l’hôpital de La Timone, pointe du doigt la tâche extrêmement complexe des logisticiens : « Une fois décongelé, le vaccin Pfizer a une durée de vie limitée à 5 jours entre 2 à 8°C. On peut gagner une dizaine de jours en carboglace, mais encore faut-il pouvoir en fabriquer ».

Adapter les locaux

Les fonctions supports vont se retrouver face à un autre problème : « Avoir des congélateurs à -80°C c’est essentiel pour au moins un vaccin, mais encore faut-il avoir le local adéquat, explique le professeur Didier Payen qui dirigeait à Paris le service de réanimation chirurgicale de l’hôpital Lariboisière, créer du froid implique forcément que l’on évacue du chaud, il faut donc des locaux spécifiques, des onduleurs et des groupes électrogènes pour les variations de tension et les pannes de courant… Il aurait peut-être fallu donner un mois de plus aux logisticiens, conclut-il, là, ça risque d’être très difficile pour eux ».

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