La clinique Ambroise Paré commence à faire les comptes

À Neuilly, la clinique Ambroise Paré (25 000 patients) aligne 220 lits pour 10 spécialités. Sous les projecteurs après qu’une équipe de médecins ait adapté un masque de snorkeling Décathlon pour en faire un respirateur artificiel, la clinique dirigée par Pascale Prost a tenu le choc et commence à évaluer les conséquences financières de la crise sanitaire.
© Eliot Blondet ABACAPRESS

© Pierre Squara

« Tout le monde s’y est mis ! ». Chef du service de réanimation, Pierre Squara évoque l’arrivée de la vague : « Oui, tous s’y sont mis, du chirurgien maxillaire qui s’est lancé dans l’adaptation de masques de snorkeling pour pallier le manque de respirateurs artificiels jusqu’à notre directrice générale qui s’est retrouvée acheteur une grande partie de son temps, trouvant même dans l’urgence le temps d’acheter les pousse-seringues dont nous avions besoin ! ».

Directrice de la clinique Ambroise Paré (groupe Hexagone qui compte aussi les centres médico-chirurgicaux Pierre Cherest et Hartmann, un EHPAD et un SSR), Pascale Prost le confirme, à Neuilly, tous étaient sur le pont, jusqu’à Dominique Boulangé, la présidente du groupe hospitalier : « Avec les deux autres cliniques du groupe nous partageons un pôle achats pour tout ce qui est non-médical, et Sandra Petit, notre pharmacienne responsable de la PUI centralisée, gère les achats médicaux. Mais même avec une organisation bien rodée, face à l’ampleur de la crise, tous les pharmaciens s’y sont mis également ».

Une mobilisation d’autant plus indispensable que, des quatre coins du pays, chercheurs et réanimateurs s’échangent des informations immédiatement répercutées aux acheteurs : « Du sud de la France, le professeur Payen me parle de ses espoirs dans le tocilizumab, évoquant également les bénéfices de l’almitrine, confie Pierre Squara, et trois autres collègues réanimateurs parisiens me confirment dans la foulée que cela pourrait marcher ». Reste alors aux acheteurs à trouver dans la journée ces médicaments avant qu’ils ne viennent à manquer… Néanmoins, Pascale Prost le confirme, à Neuilly, au plus fort de la vague : « Cela a parfois été chaud mais nous n’avons jamais manqué de curares ni d’hypnotiques ».

Un double sourcing pour contrer la pénurie

Pierre Squara © N. Courau Roudier

Aujourd’hui, Pierre Squara s’interroge sur la reprise d’activité : « Dès maintenant nous pourrions sans problème reprendre à 80 % notre activité habituelle et programmer à nouveau les opérations qui étaient planifiées. En réa, le nombre de lits est redescendu à 35 quand la clinique en comptait 45 au plus fort de la crise, et seuls 25 lits restent aujourd’hui affectés aux patients Covid-19. Mais la préemption par l’état des curares et hypnotiques m’inquiète, on risque de se retrouver coincés, comment vont s’effectuer les dotations ? ». Il relaie, sans en avoir l’air, une hypothèse émise par d’autres réanimateurs : « Si nous n’avons toujours pas l’autorisation de programmer à nouveau des opérations, n’est-ce pas dû, outre la crainte d’une deuxième vague, à la pénurie de curares et d’hypnotiques ? ».

Pascale Prost rebondit : « Il faut absolument réformer le système d’approvisionnement et créer une production stratégique nationale pour ne plus dépendre des fabricants étrangers ». Afin désormais de limiter les risques, nous allons pérenniser la stratégie de sourcing élaborée dès le début de la crise : « Nous avons sorti la liste de nos fournisseurs habituels pour établir systématiquement un sourcing français. Placer au minimum une entreprise française en face de chaque fournisseur étranger induit certainement un surcoût mais il faudra bien l’assumer pour ne plus risquer les ruptures d’approvisionnement ». Et ces surcoûts, la directrice générale de la clinique Ambroise Paré peut déjà en dresser l’inventaire…

Des dépenses abyssales

« Le surcoût ? Il est abyssal ! Le poste des EPI pour protéger nos soignants a explosé, nous consommons en moyenne par semaine 3500 masques FFP2, pratiquement la même quantité en casaques et 5000 masques chirurgicaux ». Le poste RH a lui aussi littéralement explosé : « Quand en réanimation nous avions une moyenne de 2 infirmières pour 5 patients, nous sommes passés entre 2,5 et 3 infirmières pour 5 patients ! Et quand on sait qu’au plus fort de la crise nous étions passé en réa de 16 à 45 lits, le calcul est vite fait… ».

Pascale Prost © N.Courau Roudier

« La logistique a également été impactée et nous avons été obligés de réquisitionner une grande partie du service technique pour palier à nos besoins d’approvisionnement et de transport ». Reste qu’après la crise, l’organisation générale de la clinique ne devrait pas être modifiée, si ce n’est à la marge : « notre organisation a tenu le choc, constate Pascale Prost, d’autant qu’avec les acheteurs, en sortant d’un fonctionnement “routinier”, en étant obligés de privilégier le contact direct aux procédures dématérialisées, nous avons fluidifié les échanges ».

Cohésion renforcée des équipes

Un constat que partage Pierre Squara : « Notre salle de réunion a été transformée en réfectoire, tous les métiers s’y croisaient et la cohésion de nos équipes s’en est trouvée renforcée ». Mais aussi bien Pierre Squara que Pascale Prost en conviennent, l’ardoise va être salée : « On espère que l’explosion de nos dépenses sera compensée justement par des financements du ministère et de l’ARS, s’inquiète le réanimateur, parce que même si nos trois établissements sont solides, nous ne savons pas dans quel état nous allons en sortir ». La directrice générale, elle, évoque ce qu’elle appelle une double peine : « D’un côté nos dépenses explosent alors que de l’autre, nos recettes se sont taries ». Pierre Squara prophétise : « Les petites structures vont souffrir et il va y avoir des dégâts ».
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