Évaluer ses fournisseurs, un investissement qui en vaut la peine

À l’image du sourcing il y a quelques années, l’appréciation du travail effectué par les titulaires du marché est un peu le parent pauvre de l’achat public. Audrey Brishoual (CHU Rennes) et Fanny Garcia (HCL), qui ont consacré leur mémoire du certificat « Les cent heures de l’achat » à la problématique de l’évaluation des fournisseurs, nous expliquent pourquoi ce travail est essentiel et quelle méthode elles ont appliquée.

© Epictura

« Le vrai génie réside dans l’aptitude à évaluer l’incertain ». L’aphorisme de Churchill devrait résonner aux oreilles des acheteurs publics. Cependant, trop souvent obnubilés par la passation de leurs marchés, ils ont encore tendance à délaisser le suivi de la phase exécution. Selon Fanny Garcia, acheteuse travaux et prestations intellectuelles aux Hospices civils de Lyon, qui a choisi ce sujet comme problématique de son mémoire pour le certificat « Les cent heures de l’achat » (Lire notre article du 2 février 2022), il y aurait deux explications à ce phénomène.

Des panels fournisseurs importants

La première, c’est la prédominance historique des profils juridiques aux postes d’acheteurs, avec comme objectif principal la conformité juridique des marchés. Une culture toujours bien ancrée. La seconde, c’est le temps estimé pour accomplir la tâche et faire adhérer les équipes. Et la vision d’une démarche circonscrite à l’achat d’un logiciel hyper élaboré et onéreux. « L’évaluation est au même stade que le sourcing il y a quelques années », résume-t-elle.

Également auteur d’un mémoire des « Cent heures » consacré au sujet, sa consoeur Audrey Brishoual, acheteuse chargée de la filière biologie au CHU de Rennes, acquiesce. En précisant toutefois que la tâche des établissements de santé s’avère bien plus compliquée, en raison d’un panel de fournisseurs beaucoup plus important que les acheteurs privés. Dans son domaine, elle gère un portefeuille oscillant entre 200 et 230 fournisseurs, pour moitié provenant de marchés passés par des opérateurs nationaux.

Mieux piloter son marché

Fanny Garcia

Pour autant, l’investissement est tout bénéfice. « On aboutit à une meilleure relation fournisseurs, on pilote mieux son marché, on le connaît mieux. Les échanges avec les entreprises permettent de détecter l’innovation, les moyens d’améliorer les approvisionnements ou le paiement », énumère Fanny Garcia. Alors comment s’atteler à la tâche ? Première étape incontournable, cartographier ses achats. « C’est obligatoire », insiste l’acheteuse des HCL. De quoi identifier les familles prioritaires, les achats particulièrement stratégiques pour l’organisation, et par voie de conséquence les attributaires à cibler.

Second point : définir des critères. Fanny Garcia a ainsi imaginé pour les travaux une demi-douzaine d’items : la qualité des études d’exécution, des travaux, le respect des délais, la gestion du chantier (sécurité, suivi des sous-traitants…), celle des imprévus, la relation avec la direction métiers et la direction achats, la gestion de la réception… Avec une notation simple de 1 à 4, de très insuffisant à très satisfaisant, assortie d’un commentaire. « C’est une évaluation qui se veut factuelle, pour sortir du traditionnel ressenti », argue-t-elle.

Travail main dans la main avec les prescripteurs

Au CHU de Rennes, Audrey Brishoual, à la demande de sa direction, s’est fixé un premier objectif de 4 entreprises évaluées en 2021. Avec des critères différents : volume financier, niveau de contractualisation, caractère stratégique pour le pôle biologie, situation de monopole ou pas, facilité de remplacement de l’entreprise. « La question de l’évaluation ne peut pas être abordée de manière standardisée en raison des segments et du contexte », prévient-elle.

Les deux acheteuses partagent en tout cas un premier constat. Il ne peut y avoir d’évaluation sans participation active des prescripteurs. « Ils ont été moteurs. L’évaluation était un objectif de la direction des achats mais aussi de la biologie, dont l’activité doit être accréditée Cofrac. Par ailleurs, la norme ISO 17025 oblige les laboratoires à faire un suivi de leurs fournisseurs et de leur performance », explique Audrey Brishoual.

Toutefois, les remontées des prescripteurs ne doivent pas être pris pour argent comptant. « Un conducteur d’opérations apporte les éléments de terrain, mais il ne nous dit pas tout, ou alors sa propre vérité », atteste Fanny Garcia. « Et ils n’ont pas les éléments contractuels en main. Un prescripteur peut estimer qu’il est inadmissible qu’une hotline, qu’il a contactée le vendredi soir, ne lui réponde que le lundi. Sauf que le contrat ne prévoit pas de réponse le week-end », illustre Audrey Brishoual.

Objectif : s’améliorer de part et d’autre

Autre élément fondamental : mener une évaluation contradictoire, en transmettant les résultats à l’entreprise afin de recueillir ses réactions, ses explications sur les dysfonctionnements. Car les torts peuvent être partagés. Au CHU de Rennes, les données rassemblées sont transmises au fournisseur une semaine avant une rencontre. Un face-à-face qui permet de comparer les données de chacun.

Audrey Brishoual

Audrey Brishoual évoque le cas des délais de livraison. « Nous n’avons pas forcément les mêmes car nous établissons des moyennes. Le prestataire peut être en mesure de fournir des chiffres plus précis produit par produit. Et de détailler le degré de maîtrise du circuit des approvisionnements s’il est fabricant pour un équipement ou simplement distributeur ». Au CHU de Rennes, l’entreprise reçoit, à la fin du processus, de 1 à 5 étoiles. Un score saisi dans le SI achat de l’établissement. Lorsque la note est égale ou inférieure à 3 étoiles, un plan d’action est enclenché, rythmé par un point trimestriel.

Car il s’agit avant tout de s’améliorer. Les deux acheteuses s’accordent totalement sur cette finalité de l’évaluation. « Il ne s’agit pas seulement de dire vous avez mal fait. Pour moi, la note sert d’amorce à l’échange, même quand un prestataire obtient 4/4. Il ne faut pas communiquer seulement avec ses entreprises quand cela va mal », insiste Fanny Garcia. À Rennes, les entreprises sont aussi invitées à donner leur sentiment sur l’établissement. « Nous avons eu par exemple des retours sur la rationalisation du nombre de commandes », renseigne Audrey Brishoual qui ajoute : « le processus a également un intérêt majeur, celui de pouvoir bonifier le cahier des charges lors de la mise en concurrence suivante ».

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