Décret Tertiaire : des EHPAD à la peine

Percutés par la hausse des coûts alors même que leur taux d’occupation chute de près de 3 %, 85 % des EHPAD publics anticipaient un budget dans le rouge fin 2022… Dans ce contexte, les établissements tentent néanmoins de faire face aux obligations de sobriété portées par le Décret tertiaire. En essayant, pour certains, d’y voir une arme de performance plutôt qu’une épée de Damoclès.

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« Du début à la fin, ce décret constitue en fait un véritable casse-tête », résume d’entrée Florence Talbi qui, directrice de deux EHPAD à Noisiel et Dammartin-en-Goële (Seine-et-Marne), s’interroge déjà sur son inscription au dispositif : « certes, tout bâtiment de plus de 1000 m2 est concerné, d’un seul tenant ou non. Mais quid de deux sites distincts à la direction commune et relevant de deux propriétaires différents ? ».

OPERAT, 1er acte

Prorogée au 31 décembre dernier, la première action consistait à déposer sur la plateforme OPERAT (Observatoire de la Performance Énergétique de la Rénovation et des Actions du Tertiaire) de l’ADEME les consommations de 2020 et 2021 ainsi que celles de l’année de référence choisie… Un simple acte administratif donc, « mais essentiel car, ce millésime, compris entre 2010 et 2019, conditionne les efforts à déployer », pose Cyril Bayle, responsable administratif de La Matinière à Saint-Jean en Royans (Drôme).

Il raconte pourtant ses premières difficultés : « La logique consiste évidemment à préférer une année de consommation élevée pour favoriser la progression. Mais bien qu’engagé dans des actions d’isolation et de calorifugeage, notre bâtiment de 6 000 m2 a dû repasser au fuel en 2020, date postérieure à la période de déclaration autorisée. Du coup, nous partons d’une base faussée », pointe-t-il.

Et maintenant ? !

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« Une fois les données relevées et replacées dans leur contexte pour calculer les coefficients de réduction à venir, les établissements disposent de deux méthodes de calcul de l’atteinte de la réduction énergétique imposée », rappelle Kamel Biguane, directeur adjoint du cabinet Itherm Conseil. La première consiste à travailler en valeur relative, c’est-à-dire sur une baisse progressive des consommations par rapport à l’année de référence : – 40 % en 2030, – 50 % en 2040, -60 % en 2050.

La seconde, en valeur absolue, exige d’atteindre en 2030 un seuil dicté par les pouvoirs publics pour chaque fluide. « Cette option est théoriquement plus favorable aux bâtiments neufs ou déjà performants mais, comme pour l’hospitalier, les valeurs exigées pour l’univers médico-social n’ont toujours pas été publiées », souligne le spécialiste.

Le discours de la méthode

Stéphane Rivoire

« Température, climatisation, éclairage… Ces valeurs ne sauraient, de toute façon, être identiques au secteur hospitalier, d’autant que les résidents sont chez eux, libres par exemple d’ouvrir leur fenêtre », relève Stéphane Rivoire. Coordinateur technique de deux structures en Seine-et-Marne, ce professionnel soulève aussi un autre problème.

« Comment déterminer la méthodologie commune la plus favorable à deux bâtiments très dissemblables, l’un en brique qui connaît depuis deux ans une rénovation complète à hauteur de 12 millions d’euros (isolation, éclairage, climatisation réversible…) et l’autre, en parpaing et béton, à l’isolation très imparfaite ? » interroge-t-il. « Et ce sans compter qu’il faut intégrer les hausses de consommation futures, imposées par l’évolution du climat ou des technologies (climatisation, smartphones, rails de levage, robots…) », ajoute Florence Talbi, toujours perplexe.

Un levier d’efficacité

L’embarras ne fait que croître au regard des dépenses à venir, même si le plan d’action autorise des modulations d’objectifs en cas de contraintes particulières ou de coûts disproportionnés : « Deux plans d’investissements sont déjà programmés jusqu’en 2025 dans le cadre duquel un emprunt de 100 000 euros doit être contracté au profit du dispositif incendie. Du coup, la priorisation des actions se tend ! », soupire la dirigeante.

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Alors que devant la technicité du parcours et/ou la hauteur de l’épreuve, nombre d’EHPAD ont d’ailleurs recherché en externe l’appui de cabinets experts, Laurent George, directeur de deux établissements sous l’égide du Centre hospitalier des deux rives, positive : « Si plusieurs actions ont déjà été menées grâce aux certificats d’économies d’énergie (CEE), le Décret fournit un bon outil de diagnostic pour se projeter dans le cadre d’un programme d’action pluriannuel détaillé, avec déploiement ciblé de panneaux solaires, pose progressive de triple vitrage ou recours à des solutions de gestion technique centralisée (GTC) capables de piloter au plus juste toutes nos installations de production (chauffage, ventilation, éclairage) », développe-t-il avec enthousiasme. Et de conclure, « ce décret, il faut le considérer comme un instrument de performance et un levier de sobriété ! ».

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