Crise Covid : la méthode berlinoise

En Allemagne, l’organisation hospitalière est régionalisée et gérée par les Etats ou Länder. Pendant la crise du coronavirus, l’association des hôpitaux de Berlin a joué un rôle de premier plan pour coordonner la réponse à la crise, en particulier la gestion des approvisionnements en équipements de protection individuels et le renforcement de la capacité en tests. Marc Schreiner, le directeur général de l’association des hôpitaux de Berlin (BKG), a accepté de répondre à nos questions.

© BKG

achat-logistique.info : Quel est le rôle de l’association des hôpitaux de Berlin en temps « normal » ?


Marc Schreiner : « L’association des hôpitaux de Berlin (BKG – Berliner Krankenhausgesellschaft) est une organisation membre de la Deutsche Krankenhaus Gesellschaft (organisation fédérale des établissements de santé allemands, NDLR). Elle représente 60 hôpitaux de la région-capitale de Berlin, hôpitaux de tout statut : publics, privés à but lucratif et non-lucratif. Notre association a de nombreuses compétences légales, au-delà des aspects politiques de représentation des établissements de santé. C’est elle qui représente les intérêts des hôpitaux dans la négociation avec l’Etat, aux côtés des représentants des médecins et des caisses d’assurance maladie.


Nous participons à la négociation multipartite pour fixer les tarifs de nos services, définir la planification de l’offre de soins (capacités en lits, autorisations…). Les associations régionales de hôpitaux sont également responsable de la formation et de l’assurance qualité, via un processus légal administré au niveau régional. Berlin est le seul Land avec le Bade-Wurtemberg à avoir associé la représentation des intérêts des EHPAD à celle des hôpitaux : ses membres opèrent 5500 places. »


achat-logistique.info : Quelle est l’organisation de la fonction achats dans les hôpitaux allemands et comment s’est-elle adaptée à la crise du COVID-19 ?


Marc Schreiner : « En temps ordinaire, il n’y a pas d’organisation spécifique pour la fonction achats au niveau régional. Chaque hôpital est autonome dans son organisation, soit de manière individuelle, soit via des groupements d’achats locaux ou des centrales d’achat à l’échelle nationale.


La crise du COVID marque une rupture, et d’importants changements ont eu lieu pendant la crise du fait des difficultés d’approvisionnement en équipement individuels de protection (EPI) et en respirateurs. La BKG a joué un rôle proactif avec les associations régionales des entreprises et des artisans afin de développer une production locale de masques. Nous avons aussi fait le lien avec le Ministère de la santé du Land pour qu’il achète directement les masques produits.


De plus, une cellule d’achats régionale a été créée en lien avec le Ministère régional en charge des importations pour acquérir de manière coordonnée le plus d’EPI possibles sur les marchés mondiaux. Cette action a été accompagnée par l’armée allemande, la Bundeswehr, qui s’est chargé du transport des matériels acquis pour approvisionner les hôpitaux allemands. »


achat-logistique.info : Comment avez-vous géré la montée en charge des capacités en tests et en lits de soins intensifs ?


Marc Schreiner : « Le premier test pour détecter le Covid a été inventé à Berlin par le Professeur Christian Drosten de l’hôpital universitaire de la Charité. Dès le début de la crise, un important travail a été réalisé pour augmenter la capacité de tests dans les laboratoires du Land, permettant de passer de 2.000 tests par jour en mars à 80 000 en juillet pour Berlin. Cette démultiplication des tests a été rendue possible par d’importantes réorganisations des laboratoires : nouveaux processus, optimisation des organisations, achat de machines très modernes, etc.


Nous avons une stratégie de test pour les phases de réouverture. Par exemple pour les professeurs dans les écoles, nous avons travaillé avec les administrations pour organiser la prise en charge du financement, défini les formulaires à remplir, et répondu à de nombreuses questions médico-légales. Cette stratégie complexe mise en place à Berlin nous semble indispensable, avec notre capacité en tests, pour réussir à surveiller l’évolution de l’épidémie. »


achat-logistique.info : Quels enseignements tirez-vous de la crise pour l’avenir ?


Marc Schreiner : « L’organisation que nous avons mise en place à l’échelle régionale en mars ne porte ses fruits qu’aujourd’hui car les marchés ont été saturés de demandes redondantes. Cette multiplication des interventions au niveau local/régional et national a créé de la confusion, et nous portons maintenant une demande de meilleure coordination dans le cadre de crises sanitaires nationales.


Nous avons également ouvert des discussions entre les échelons régionaux et le national pour définir combien de réserves doivent détenir les hôpitaux. Habituellement, nos membres prévoient deux à trois semaines de stock mais nous avons vu très vite au début de la crise que ce n’était pas suffisant. Aujourd’hui, il faut réussir à définir des stocks réalistes en termes de coût, de place, etc. Un besoin s’est cristallisé au niveau régional mais aussi pour les prestataires de service (médecins, EHPAD, hôpitaux…).


La gestion des approvisionnements pendant la crise du coronavirus est un sujet dont doit se saisir l’Union européenne : il faut que l’action des Etats-membres soit mieux coordonnée et que l’on crée les circonstances économiques pour la production de produits médicaux en Europe. En effet, tous les efforts en local n’ont pas de valeur s’il n’y a pas suffisamment d’EPI.


Le 9 juillet, 500 personnes sur les 4 millions d’habitants étaient infectées par le coronavirus à Berlin, avec 120 personnes hospitalisées dont 30 en soins intensifs. La situation, même si elle est stabilisée, est toujours traitée comme une pandémie : des lits sont réservés pour les patients atteints par le Covid et nous avons une planification des opérations prévoyant le déploiement de personnels et de lits si une deuxième vague survient. »

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