Mulhouse : les acheteurs après le blitz

Directeur des achats et des services économiques du Groupement hospitalier de la région de Mulhouse et Sud Alsace, Pierre Muller s’est retrouvé en première ligne lorsque le Covid s’est abattu sur la France à la fin février. Quatre mois après, il nous raconte comment les acheteurs et les logisticiens du groupement hospitalier ont résisté et comment ils vont s’organiser désormais.
© GHRMSA
« Depuis quelques jours déjà, nous regardions avec inquiétude comment la situation évoluait en Chine et en Italie. Et subitement, fin février, ça a explosé ». Pierre Muller fait bien évidemment référence au rassemblement évangélique de l’Église de la Porte ouverte (…) qui venait de réunir à Mulhouse 2 500 personnes sans qu’aucune précaution particulière ne soit prise. Au SAMU, du jour au lendemain, le standard saturait lui aussi : plus de 1 000 appels dans la nuit du 2 au 3 mars, deux fois plus que d’habitude. Et 1 500 appels par jour le surlendemain !

L’aide de la sous-préfecture

Alors que la machine médiatique s’emballait, les acheteurs du groupement hospitalier se prenaient la vague de plein fouet : « J’ai la certitude que nous n’avons pas été entendus assez rapidement, déclare aujourd’hui Pierre Muller, un patient arrivait le lundi avec le nez qui coule, le mercredi il était en réa et le vendredi à la morgue ». C’est cru, mais c’est clair.

Pour le directeur des achats, les autorités sanitaires n’avaient pas conscience de la réalité : « Personne n’a compris assez vite pourquoi nos consommations explosaient, déplore-t-il, ainsi, alors qu’elle était marginale, notre consommation quotidienne de masques FFP2 est passée de 80 à 6 000, alors que dans le même temps l’utilisation des sur-blouses et des masques chirurgicaux était multipliée par quinze. Chaque jour, nous devions trouver 15 000 masques et 30 000 paires de gants ».


Acheteurs et logisticiens ont été soumis à une extrême tension.  Heureusement, l’administration préfectorale a apporté son soutien : « Alors qu’avec des agents de l’hôpital nous bloquions un camion chargé des bouteilles de gaz médicaux dont nous avions un besoin vital, le sous-préfet de Mulhouse contactait en urgence le directeur général de l’entreprise, à Paris, afin que le livreur accepte enfin de décharger. En pleine crise, échanger dix fois plus de bouteilles pleines que ce que nous pouvions rendre de bouteilles vides, ça nous était totalement impossible ! ».

Onze millions plus quatre

C’est également grâce à Jean-Noël Chavanne que le groupement hospitalier a pu obtenir en urgence l’éthanol médical qui lui faisait cruellement défaut. Mais, comme le souligne Pierre Muller, le sous-préfet est allé encore plus loin : « Une nuit, il lui a fallu mobiliser les services du commissariat de la police nationale de Saint-Louis pour faire récupérer dans l’entrepôt d’un transporteur express cadenassé et déserté de son personnel les réactifs indispensables à la nouvelle chaîne d’analyse des prélèvements dans un container empilé dans un grand désordre et que le transitaire ne voulait plus nous livrer… »

Pierre Muller

Comme tous les acheteurs, le directeur des achats sait aujourd’hui combien la crise lui a coûté : « Quinze millions. Nous n’avons pas encore tout chiffré, mais le seul surcoût est chiffré à onze millions auxquels s’ajoutent quatre millions de recettes que nous avons perdues… ». Tout ne sera probablement pas compensé par les dotations de l’ARS, et ce n’est pas le décalage de certains investissements qui y changera quoi que ce soit : « Ils ne sont pas annulés, mais simplement reportés, et pour certains d’entre eux nous devrons même rattraper le temps perdu, comme par exemple la sécurisation des armoires à médicaments ».

Se constituer un stock tampon de mobilier

Reste maintenant à reconstituer les stocks et à trouver une capacité de stockage suffisante : « Chat échaudé craint l’eau froide, dit-il, nous allons constituer notre propre stock stratégique et l’intégrer au stock circulant, avec des remises à niveau régulières ». Autre constat né de la crise : « Nous avions conservé nos anciens lits de réa et les événements nous ont donné raison, dit-il, je conseille à mes collègues d’en faire autant et de conserver un stock tampon de mobilier ».

La capacité de stockage lui pose toutefois un problème : « Au plus fort de la crise nous avons transformé un bâtiment désaffecté en espace de stockage supplémentaire, mais à trois kilomètres de l’hôpital Émile Muller, notre site principal d’activité, ce n’est pas l’idéal d’un point de vue logistique ». Mais comme le magasin général était déjà sous-dimensionné, le groupement hospitalier gardera cette configuration dans l’immédiat. Pour Pierre Muller, l’idéal serait de construire un magasin adapté aux nouveaux besoins : « Il nous faudrait une aide providentielle ! »
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