Le Québec investit dans sa logistique

Chiffres à l’appui, le CHU de Québec et le centre intégré de santé et de services sociaux de Chaudière-Appalaches (CISSSCA) ont réussi à démontrer que le recrutement d’un logisticien associé à la réorganisation des tâches pouvait libérer jusqu’à deux postes de soignants. Alors qu’il devient de plus en plus compliqué de recruter des professions médicales dans la Belle Province, l’argument a fait mouche. Résultat : des renforts significatifs commencent à arriver dans les deux organismes.

© CHU Québec

175 (100 postes associés aux équipes de soins transformés en poste logistique et 75 ajoutés) emplois supplémentaires de logisticiens pour le CISSSCA (34 établissements : EHPAD, soins de longue durée, établissements de santé mentale…). Côté CHU, 90 seront nécessaires, en plus des quelque 120 déjà existants. Des « équivalent temps complets » (ETC), comme on dit au Québec. Voilà les renforts dont devraient bénéficier à terme les deux structures. Une partie d’entre eux a déjà été pourvue : 35 au CISSCA, 50 au CHU sur les 60 dont le financement a été confirmé. Cette vague de recrutement ne doit rien au hasard. Elle est au contraire une conséquence logique. D’abord celle de la montée en compétence de la fonction.

« La première étincelle date de 2015, lorsque le ministère de la Santé a inséré de façon obligatoire un directeur logistique dans les organigrammes, en le positionnant à la table de décision. Le métier s’est alors professionnalisé. Puis la pandémie est arrivée. Cela a été la deuxième étincelle : les établissements ont vu toute notre agilité », raconte Carole Bordes, directrice de la logistique du CISSCA.

La logistique, un partenaire expert au service du patient

Carole Bordes (première à droite) en compagnie d’une équipe logistique.

« Nous avons réinventé notre offre pendant la pandémie, on a répondu présent, on a innové dans nos façons de faire, cela a renforcé notre crédibilité. Le regard a changé : la logistique a des agents capables de faire évoluer et de transformer la santé », complète Marie-Hélène Boulanger, son homologue au CHU. Le changement est perceptible. « On ne se place pas dans un rapport client/fournisseur, mais on veut que les soignants nous considèrent comme des partenaires experts », résume Carole Bordes, « nous sommes tous au service du patient. »

Ces nouveaux postes sont aussi le résultat de 2 études corroborant la littérature existante et démontrant, chiffres à l’appui, comment la fonction soutien peut dégager du temps médical. Le travail des « cliniciens » a été décortiqué. « Nous devons avoir 280 heures d’observations », estime Marie-Hélène Boulanger. Et comme on pouvait s’y attendre, les tâches dites logistiques accaparent. Dans le secteur ambulatoire, le « préposé aux bénéficiaires », l’équivalent québécois de l’aide-soignant, y consacre jusqu’à 60 % de ses journées. Autour de 30 % pour les PAB des blocs opératoires.

Un lit = 0,165 ETC

« Venir observer des équipes de soin avec un chronomètre, cela peut faire peur, confesse Carole Bordes, mais notre démarche a été légitimée par le fait que nous avions, toutes les deux, bénéficié d’une bourse de formation d’Excellence Santé Canada, une fondation qui forme les dirigeants de la santé de demain, historiquement et majoritairement du personnel issu du monde clinique ».

Marie-Hélène Boulanger

Le croisement des deux études permet de définir deux ratios. Le premier concerne les RH nécessaires pour faire fonctionner un établissement. « À l’instar des services techniques dont les ressources sont financées au mètre carré et le personne clinique qui est financé en fonction d’un ratio par lit, la logistique voulait se doter d’un tel outil », argue Marie-Hélène Boulanger. Résultat : 0,165 ETC/lit. Un score valable aussi bien pour le long que le court séjour. Le deuxième ratio impressionne. Chaque ajout de logisticien est en mesure de libérer entre 1,7 et 1,9 ETC de soignant. À la condition de repenser l’organisation des deux côtés. Y compris en réfléchissant à confier à la logistique la distribution des plateaux-repas aux patients sans contrainte alimentaire.

« Comme toutes les tâches logistiques sont imbriquées dans l’organisation du travail clinique, tout le monde fait un petit peu de tout. C’est en travaillant en collaboration avec les équipes cliniques et en faisant des prises en charge massives que nous obtenons un bénéfice tangible et ainsi la possibilité de réinvestir ce temps auprès des patients », met en avant Marie-Hélène Boulanger. Une révolution forcément coconstruite, car rien ne se fera sans l’acceptation des deux parties. « Cette nouvelle organisation est difficile parce que tout est normé, protocolé depuis des années. Et que l’on bouscule cela un peu », admet Carole Bordes.

Libérer du temps médical dans un contexte de pénurie de main d’œuvre

© CHU Québec

Les ratios ont été un sacré outil marketing pour éclairer l’ampleur du potentiel. « Ces datas ont appuyé notre projet. Tout le monde a compris le bénéfice », assure Marie-Hélène Boulanger. Car, comme en France, le Canada souffre d’une sévère pénurie de main d’œuvre chez les professions médicales.  En partant de leur ratio, les deux femmes ont calculé le volume nécessaire des effectifs. Convaincu par le raisonnement, le ministère de la santé et des services sociaux (MSSS) a approuvé le financement d’un projet vitrine en permettant ainsi 30 renforts au CHU pendant un an.

Les nouvelles troupes de Carole Bordes et de Marie-Hélène Boulanger sont en grande majorité des agents de terrain, niveau bac, que les établissements se chargent de former. Objectif : être polyvalent au maximum. « On a trop sectorisé les activités logistiques. C’est le nœud du problème et cela ne fonctionne pas. Il faut regarder l’arrière-scène, la restauration, le nettoyage, l’hôtellerie, les transports comme un tout et non plus en silos », analyse la directrice de la logistique du CISSSCA.

Gagner la confiance petit à petit

Les premiers résultats sont palpables. Avec l’arrivée des renforts, la logistique du CHU de Québec a étendu ses heures d’activité, pris en charge la gestion des réserves, de nouveaux transports (inter-unités, prélèvements, matériel du bloc, endoscopes, médicaments, équipements à réparer…). Les déplacements sont réfléchis pour éviter les allers ou les retours à vide. La journée de travail est optimisée : formés, les agents logistiques peuvent aider les soignants à installer les malades dans les chambres. En soulageant les PAB, le CISSSCA a constaté de son côté une amélioration du climat de travail et un meilleur bien-être des résidents.

Même si elles sont désormais les « vitrines » d’une dynamique dans la Belle Province, les deux femmes, souvent sollicitées pour présenter leur démarche, ne versent pas dans le triomphalisme.  « Avant de parvenir à obtenir 60 postes, il en coulé de l’eau sous les ponts », tient à rappeler Marie-Hélène Boulanger qui insiste sur la confiance gagnée petit à petit. « L’une des clefs, c’est l’humilité. Inutile d’arriver dans un service de soins en leur expliquant comment ils vont travailler.  Il faut d’abord comprendre comment ils vivent, ce qu’ils vivent, leur dialecte », prévient Carole Bordes qui préconise aussi de ne pas parler d’emblée finances.  « Il faut d’abord démontrer que cela fonctionne. Ensuite on trouve l’argent ».

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