Le CH Mayotte sécurise le parcours de ses médicaments

Ancien interne des hôpitaux de Paris, Makrem Ben Reguiga est aujourd’hui chef de service au centre hospitalier de Mayotte. Responsable de la pharmacie à usage intérieur (PUI) de l’établissement mahorais, vice-président de la CME, il n’était pas peu fier de présenter au ministre de la Santé qui était début décembre de passage à Mamoudzou, les armoires informatisées dédiées à la dispensation globale de médicaments. Un système qui évite les confusions de produits et facilite la gestion des stocks.

© CHM

L’objectif de sécurisation poursuivi par le Centre hospitalier de Mayotte est ambitieux. En effet, si neuf services sont déjà dotés des armoires informatisées, il est prévu que la totalité des 550 lits MCO-SSR seront équipés d’ici l’automne 2023, soit 23 armoires installées. « Et 100 % du circuit du médicament dans les unités de soins et le plateau technique sera sécurisé dans la foulée, déclare avec satisfaction Makrem Ben Reguiga, avec une gestion à distance par la pharmacie du CHM, en lien toujours avec les unités de soins ».

C’est ce challenge qui l’a poussé à quitter l’APHP en 2016 : « Sécuriser le parcours des médicaments, informatiser, automatiser, et tout ça dans un établissement qui est quand même bien moins dimensionné que les hôpitaux de métropole, c’était un sacré défi à relever, dit-il, mais il y a eu un alignement favorable des planètes, l’arrivée des fonds européens et l’intelligence de la direction de l’établissement qui a compris nos besoins et l’aide de l’ARS, autant d’éléments qui nous ont permis de monter des projets tel que celui que nous continuons à déployer pour gérer le flux des médicaments ».

Trois fois plus de décès par rapport aux accidents de la route

Pour Makrem Ben Reguiga, sécuriser le parcours des médicaments est une impérieuse nécessité : « Les erreurs médicamenteuses représentent trois fois plus de décès que les accidents de la route, constate-t-il, les chiffres sont sans appel avec 3219 morts sur la route l’an dernier contre 10 000 décès dus à des erreurs médicamenteuses (selon les estimations du Collectif du bon usage du médicament, NDLR) ». Et de rajouter : « entre 45 et 70 % de ces décès auraient pu être évités ».

La présentation des armoires en décembre au ministre de la Santé © CHM

En fait, c’est la marge d’amélioration qui motive le responsable de la PUI de l’établissement mahorais : « Nous devons faire avec les réalités insulaires, il y a un véritable manque d’ingénierie sur l’île, donc il n’y a pas beaucoup de concurrence, constate-t-il, ce qui ne nous empêche pourtant pas de monter de bons dossiers, comme une nouvelle stérilisation entièrement rééquipée et informatisée, et dans une démarche éco-responsable, nous sommes en train de sécuriser la dispensation nominative par un robot de préparation de doses à administrer (PDA) ».

Eviter les confusions de produits

Makrem Ben Reguiga © CHM

L’un des problèmes, pour lui, c’est le trop grand nombre d’étapes et d’intervenants : « On passe d’un service à l’autre, la pharmacie, un livreur, un soignant, un médecin… Il y a plusieurs intervenants et il faut essayer d’alléger ce circuit, de l’harmoniser ». Ses armoires automatisées permettent d’éviter les confusions et les erreurs humaines, mais elles lui permettent également de gérer ses stocks en temps réel : « Lorsqu’en métropole on se retrouve en rupture de stock on appelle l’hôpital d’à côté, c’est vite fait. Mais ici, nous n’avons pas le droit à l’erreur, un approvisionnement maritime prend en moyenne 150 jours. »

« Et nos containers passent par les pays du Golfe où ils sont déchargés et attendent un autre bateau qui les convoiera jusqu’ici », poursuit-il. « Et si c’est plus rapide en avion, ce qui n’est pas difficile dans ces conditions, il faut savoir que les médicaments ne sont pas prioritaires : les bagages voyageurs, le fret postal, les animaux et le périssable alimentaire passent avant… ». D’où l’importance d’une gestion intelligente et automatisée des stocks.

Stocks d’alerte

Les dotations médicamenteuses sont définies pour chaque service avec les médecins responsables des structures. Une fois validées, elles sont intégrées dans ces armoires informatisées, avec la définition d’un niveau de stock de réapprovisionnement (70 à 80 % de la dotation) et d’un stock d’alerte (20 à 30 % de la dotation). Des alertes complémentaires sont aussi paramétrées, telles que la traçabilité des dispensations de stupéfiants, de médicaments dérivés du sang, ou encore celle de certains médicaments spéciaux comme les antidotes.

© CHM

Une à deux fois par semaine, selon la taille de l’armoire et le nombre de lits du service, les préparateurs en pharmacie hospitalière (PPH) interrogent à distance le contenu de l’armoire, évaluent les quantités de médicaments à réapprovisionner, préparent ces médicaments et génèrent les mouvements de stocks vers les armoires, récupèrent la liste des mouvements des produits soumis à traçabilité, se déplacent dans les services et réapprovisionnent physiquement les armoires. À chaque déplacement, un inventaire est réalisé avec la mise à jour des quantités réelles dans l’armoire et la date de péremption des lots présents.

Un investissement vite rentabilisé

Le dispositif est renforcé par une automatisation de la traçabilité de certains médicaments, processus souvent gourmand en ressources humaines spécialisées et compliquée à réaliser. Lorsqu’il fait ses comptes, Makrem Ben Reguiga s’y retrouve : « Lorsque nous avions installé les armoires aux urgences, nous avons fait épargner à l’établissement environ 40 000 € de dépenses en médicaments la première année, soit le prix d’une armoire, car non seulement on obtient une gestion optimale des stocks, mais on gagne également sur le budget RH. »

« Là où il fallait avant deux ou trois infirmières référentes pour inventorier, gérer et renouveler continuellement les stocks des services, une seule suffit aujourd’hui pour un temps partiel et les autres peuvent être redéployées dans les services de soins », explique le responsable de la PUI. « En parallèle, il faut déployer du temps en préparateurs : il faut compter 8 à 12 heures par semaine en fonction de la taille de l’armoire et le nombre de lits gérés par le service », ajoute Makrem Ben Reguiga qui insiste aussi sur la formation et l’accompagnement indispensables du personnel infirmier par la PUI.

Réagir à cet article

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *