Un prix à zéro euro n’est pas forcément ambigu

Les offres à zéro euro ont tendance à perturber les acheteurs qui ne savent pas toujours quel comportement adopter. Un pouvoir adjudicateur a décidé d’écarter une offre contenant – pour partie – des prix à zéro euro au motif que la prestation supplémentaire éventuelle n’avait pas été correctement chiffrée. Mais le Conseil d’Etat vient d’expliquer qu’une telle offre ne présente pas d’ambiguïtés dès lors que l’entreprise peut l’expliquer.

© Epictura

Lorsqu’elle lance un appel d’offres pour rechercher un prestataire capable de gérer un centre d’appels téléphoniques, la chambre de commerce et d’industrie de région Paris Ile-de-France (CCIR) demande aux candidats de prévoir impérativement, en plus de leur offre de base, une prestation supplémentaire éventuelle (PSE) relative notamment à la mise en oeuvre, à l’acquisition et aux redevances de licences d’un outil de gestion informatique. « Un opérateur économique est tenu de chiffrer une PSE, même si l’acheteur n’a aucune obligation de l’actionner », rappelle l’avocat Eric Lanzarone, « dans le cas présent, le RC précisait qu’il s’agissait d’une prestation que le pouvoir adjudicateur se réservait le droit de retenir au moment de l’attribution de l’accord cadre d’où l’appellation « éventuelle » mais qu’elle était obligatoire et que ce faisant elle devait être chiffrée. »

 

Les exigences de la consultation non respectées pour l’acheteur

En janvier 2020, le pouvoir adjudicateur informe un soumissionnaire que son offre, jugée irrégulière, est rejetée. Le motif : la PSE n’a pas été chiffrée dans tous les éléments attendus et elle n’a pas respecté les exigences formulées dans les documents de la consultation. Autrement dit, l’entreprise a remis un BPU et un DQE pour lesquelles les cases concernant le prix des licences indiquaient « zéro euro » pour chacune des tranches de quantité de licences demandées.

En général, ce type de réponse met mal à l’aise nombre d’acheteurs. D’abord parce qu’un marché public se définit par son caractère onéreux, même si ce dernier peut se matérialiser sous plusieurs formes, comme un abandon de recettes. Avant d’écarter l’offre, la CCI prend la précaution d’interroger le candidat à deux reprises, sans que cela n’incite ce dernier à modifier son chiffrage. L’entreprise confirme même que ce prix de zéro euro, indiqué par tranches de licences, serait maintenu en cas d’augmentation du volume des licences si la PSE était activée.

Aucun problème pour les juges

Le soumissionnaire évincé se tourne vers le TA de Paris et obtient l’annulation du rejet de son offre et de l’attribution du marché. Le juge enjoint par ailleurs à l’acheteur, s’il souhaite poursuivre la passation, de reprendre la procédure au stade de l’analyse des offres, en y intégrant l’offre évincée. L’acheteur saisit alors le Conseil d’Etat.

Les sages du Palais Royal considèrent que le juge des référés n’a pas commis une erreur de droit en estimant « que la seule référence, dans la réponse de la société, à la volumétrie des licences actuelles du marché n’avait pu, dans les circonstances de l’espèce et compte tenu de l’ensemble des réponses apportées » par le soumissionnaire, « créer une ambiguïté sur le prix de zéro euro proposé pour les licences dans le cadre de la PSE et en déduisant que l’offre de la société ne pouvait être regardée comme irrégulière ». Le pourvoi de la chambre de commerce et d’industrie de région Paris Ile-de-France est donc rejeté.

Une décision logique

Pour Me Lanzarone, la décision est logique. « La vraie question, ce n’est pas l’offre zéro, c’est la clarté et la complétude de l’offre sur le coût des licences. Et pour le juge, il n’y a pas d’ambiguïté, l’offre est suffisamment claire. » Même son de cloche chez son confrère Antoine Woimant (cabinet MCL). « Le juge des référés est un juge de l’évidence. Dans ce cas de figure, il a estimé que le candidat avait correctement rempli le DQE. Zéro euro est un prix », rappelle-t-il, avant d’estimer que l’acheteur s’est trompé de démarche.

Antoine Woimant

« S’il considérait que cela pouvait porter préjudice à la bonne exécution du marché et que la proposition n’était pas économiquement viable, il aurait dû chercher à écarter l’offre au motif qu’elle était anormalement basse », remarque-t-il. Dans une récente décision, la Cour de justice de l’Union européenne a précisé que cette démarche préalable était requise et que la directive ne constituait pas une base légale de rejet d’une offre « au seul motif que le prix proposé dans l’offre est de zéro euro » (CJUE, 10 septembre 2020, Tax-Fin-Lex d.o.o, C‑367/19).

En l’espèce, l’acheteur aurait certainement eu quand même du mal à convaincre les juges. Par le passé, une communauté d’agglomération a ainsi qualifié une offre d’anormalement basse en raison d’une partie des prestations chiffrées à zéro euro. Mais le Conseil d’Etat a récusé cette approche et estimé qu’il fallait regarder l’offre d’un candidat de manière globale (CE 13 mars 2019 Société Sepur). « Le recours à l’OAB n’aurait pas changé la donne, estime pour sa part Me Lanzarone, puisque l’entreprise avait justifié son prix obtenu grâce à un accord commercial. D’où la gratuité de l’offre eu égard au partenariat avec l’entreprise détentrice des licences ».

Référence : Conseil d’Etat, 24 décembre 2020, n° 439430

Réagir à cet article

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *