Pas de « sans suite » en cas de faute de l’acheteur

Lorsqu’un pouvoir adjudicateur commet l’erreur de ne pas vérifier les capacités financières de l’entreprise retenue et de rejeter prématurément les autres offres, il n’est pas autorisé à déclarer le marché sans suite pour un motif d’intérêt général, dixit une récente ordonnance de tribunal administratif.

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La réglementation des marchés publics autorise un acheteur à déclarer une consultation sans suite à n’importe quel moment de la procédure. Encore faut-il qu’il motive sa décision et que celle-ci soit justifiée.

Le titulaire pressenti placé en redressement judiciaire

Réunie le 11 septembre 2018 pour attribuer un marché de travaux lié à la construction d’un conservatoire régional artistique, la CAO de la métropole montpelliéraine demande, deux jours plus tard, à la société retenue pour deux lots de lui communiquer les pièces et attestations exigées par le RC. Elle transmet, dans le même temps, sa décision de rejet aux candidats évincés et les informe du choix de l’attributaire. Problème : la société retenue n’envoie les documents promis que le 21 et elle a été placée en redressement judiciaire depuis le 11.

« Le Conseil d’Etat (26 mars 2014, ville de Chaumont, n°374387) a indiqué que la situation d’une entreprise doit être appréciée au moment de l’attribution du marché », signale Me Antoine Woimant, avocat du cabinet MCL, « il précise que si le redressement judiciaire intervient après la date limite fixée pour le dépôt des offres, l’entreprise doit en aviser aussitôt le pouvoir adjudicateur. Ce dernier doit alors vérifier que la candidature est toujours recevable, ce qui le conduit à s’assurer que l’entreprise est habilitée à poursuivre son activité au moins le temps de l’exécution du marché. Si ce n’est pas le cas, il doit écarter la candidature comme irrecevable. Dans le cas contraire, l’acheteur aura méconnu ses obligations de vérification de la capacité financière des candidats ».

Notifications prématurées

S’estimant lésé, le soumissionnaire classé n°2 déclenche un référé précontractuel. Comme elle estime l’offre retenue caduque et qu’elle ne peut pas rétropédaler s’agissant des lettres de rejet, la collectivité, le jour de l’audience, déclare les deux lots incriminés sans suite. Conséquence pour le juge : un non-lieu à statuer. L’entreprise demande alors au TA d’annuler le « sans suite » de la collectivité. Cette fois, le prestataire obtient gain de cause. Le TA estime que la notification est « intervenue prématurément » puisque, comme le prévoyait le RC, le candidat devait envoyer, dans un délai de 5 jours, produire les diverses attestations réclamées. A défaut, l’offre devait être rejetée et l’entreprise classée deuxième sollicitée.

Un sans suite ne peut pas réparer une erreur de l’acheteur

En écartant l’offre de cette dernière avant le terme du délai, la collectivité s’est fourvoyée. En raison de cette irrégularité, elle « ne pouvait pas, à bon droit, se prévaloir du motif d’intérêt général invoqué tiré au placement en redressement judiciaire » de l’entreprise sélectionnée pour déclarer sans suite la procédure d’attribution des deux lots. « L’acheteur a commis deux erreurs. Il devait vérifier que l’entreprise classée n°1 avait les moyens d’exécuter le marché. Et, dans le cas contraire, il devait attribuer le contrat au candidat classé 2e. Il n’est pas possible de rattraper une bourde en déclarant un marché sans suite », résume Me Antoine Woimant qui cite à l’appui de sa démonstration une autre décision indiquant que les motifs invoqués ne doivent pas traduire une carence de l’administration (CAA Nancy, 5 juillet 2016, n°15NC00330).

Référence : TA de Montpellier, société Isolbat, n°180526

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