Modification du contrat et imprévision

La théorie de l’imprévision autrefois réservée au droit public est entrée dans le droit des obligations à travers l’article 1195 du code civil. Tout en laissant place à la renégociation, le régime civiliste comporte des conditions d’application strictes et offre un rôle important au juge judiciaire. Quels sont ses pouvoirs ? Existe-t-il des points communs avec la théorie publiciste de l’imprévision ? Président de la chambre de l’instruction à la Cour d’appel de Grenoble, Thierry Azéma fait un point d’étape après la réforme de l’ordonnance du 10 février 2016.

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L’ordonnance n°2016-131 du 10 février 2016 a redistribué les cartes, en instaurant dans le code civil un article 1195. Ce dernier prévoit notamment que « si un changement de circonstances imprévisible lors de la conclusion du contrat rend l’exécution excessivement onéreuse pour une partie qui n’avait pas accepté d’en assumer le risque, celle-ci peut demander une renégociation du contrat à son cocontractant ».

Ces conditions sont comparables à celles nécessaires à la mise en œuvre de la théorie de l’imprévision en droit des contrats publics où l’imprévision n’est susceptible de jouer que si les éléments qui la provoquent présentent un caractère imprévisible et anormal ; sont indépendants de la volonté du cocontractant ; entraînent un bouleversement économique du contrat.

Le juge peut à la demande d’une partie réviser le contrat

Thierry Azéma

On constate que comme pour les contrats publics, l’article 1195 impose de continuer à exécuter ses obligations durant la renégociation. « En cas de refus ou d’échec de la renégociation, les parties peuvent convenir de la résolution du contrat, à la date et aux conditions qu’elles déterminent, ou demander d’un commun accord au juge de procéder à son adaptation, souligne Thierry Azéma, et à défaut d’accord dans un délai raisonnable, le juge peut, à la demande d’une partie, réviser le contrat ou y mettre fin, à la date et aux conditions qu’il fixe ». 

Avec le principe d’intangibilité des contrats issu de l’ancien article 1134 du code civil, le refus de la révision des contrats pour imprévision était pourtant gravé dans le marbre depuis plus de deux cents ans ! La Cour de cassation semblait avoir ouvert une première brèche dès 1992 : « Tout en maintenant le refus de la révision pour imprévision, rappelle Thierry Azéma, la Cour de cassation avait atténué cette solution en utilisant la bonne foi pour permettre de remédier indirectement à certains contrats déséquilibrés par des changements de circonstances (Com, 3 novembre 1992, n°90-18.547 ; Com. 22 décembre 1998, n°96-18.357) ».

Pouvoirs du juge et cas d’exclusion de l’imprévision

Si les parties ne parviennent pas à s’accorder dans un délai raisonnable, une partie peut saisir le juge d’une demande de résolution, de résiliation ou de révision du contrat, à la date et aux conditions qu’il fixe. « Néanmoins, ce nouvel article ne comporte aucune restriction quant à la notion de délai raisonnable… » comme l’indique Thierry Azéma.  La fin du contrat se fera sous forme d’une résolution ou d’une résiliation pour les contrats à exécution successive, en application de l’article 1229 du code civil.
Le juge peut ainsi régler les conséquences de la fin du contrat : « Le juge peut réviser les conditions du contrat, notamment le prix, afin de tenir compte de l’évolution des circonstances, sous les conditions précisées précédemment. La consultation des bases de données des cours d’appel et de la Cour de cassation n’a pas permis de retrouver des arrêts ayant fait application du nouvel article 1195 du code civil », poursuit Thierry Azéma.

En droit des contrats publics, afin d’assurer la continuité du service public, en cas d’imprévision, le cocontractant a droit à une indemnité dont le montant est en principe convenue par les parties au moyen d’un avenant.

L’intérêt des clauses d’anticipation reste entier

La prise en compte de l’imprévision connaît ses exceptions, comme le précise Thierry Azéma : « L’ordonnance du 10 février 2016 a laissé subsister différents textes spéciaux relatifs aux changements de circonstances pour certains contrats ou certains débiteurs. Certaines dispositions excluent la révision du contrat déséquilibré comme l’article 1793 du code civil pour le contrat de construction d’un bâtiment selon un prix forfaitaire ou prévoient une révision du contrat déséquilibré comme pour la révision des rentes viagères, la révision de certains loyers. Trois textes spéciaux sont issus de la réforme de 2016 quant à la fixation du prix : les articles 1164 et 1165 sont relatifs à la détermination unilatérale du prix et l’article 1167 du même code est relatif à la fixation du prix par un indice ».

Le régime de l’imprévision n’enlève pas d’intérêt à la rédaction ab initio par les parties de clauses d’anticipation des modifications en cours d’exécution, clause de réexamen pour les publicistes ou clause de « hardship » pour les civilistes afin d’anticiper, d’elles-mêmes, des changements de circonstances économiques, techniques…
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