Les conséquences de l’article 195 de la loi « PACTE » sur l’exécution des marchés de travaux

La loi n°2019-468 du 22 mai 2019 relative à la croissance et la transformation des entreprises dite loi « PACTE » a introduit dans le droit des marchés publics plusieurs garanties en faveur des entreprises. Son article 195, codifié à l’article L. 2194-3 du code de la commande publique, dispose notamment que : « Les prestations supplémentaires ou modificatives demandées par l’acheteur au titulaire d’un marché public de travaux qui sont nécessaires au bon achèvement de l’ouvrage et ont une incidence financière sur le marché public font l’objet d’une contrepartie permettant une juste rémunération du titulaire du contrat. »

Le principe ainsi énoncé n’est pas nouveau, une jurisprudence ancienne et constante imposant déjà la rémunération des travaux effectués en sus du forfait et commandés par ordres de service (CE, 17 février 1978, n°99193, 99436, Compagnie française d’entreprises). De même, l’arrêté du 8 septembre 2009 portant approbation du cahier des clauses administratives générales applicables aux marchés publics de travaux, auquel la très grande majorité des marchés se réfèrent, prévoit, en son article 14, le règlement « des prestations supplémentaires ou modificatives, dont la réalisation est nécessaire au bon achèvement de l’ouvrage, qui sont notifiées par ordre de service et pour lesquelles le marché n’a pas prévu de prix ».

Attention au risque de blocage du chantier

Antoine Alonso

Cependant, dans les faits, il reste courant, y compris dans le milieu hospitalier, de constater l’émission d’ordres de service ordonnant des travaux supplémentaires sans aucune contrepartie financière. En inscrivant l’obligation d’une juste rémunération dans le code de la commande publique, le législateur entend, ainsi qu’il ressort explicitement des travaux parlementaires d’adoption de la loi « PACTE », mettre définitivement un terme à « ces pratiques malsaines consistant à abuser de ordres de service à zéro euros » (Rapport n°1237 de M. Roland Lescure, M. Jean-Noel Barrot, Mme Corali Dubost, Mme Marie Lebec et M. Denis Sommer, Tome II : chapitres III et IV). Le ministère de l’Économie mettait déjà en garde contre la non-valorisation des travaux supplémentaires, dénoncée comme susceptible de mettre « en péril la confiance indispensable entre les parties », de « nuire aux conditions de délivrance des prestations » et d’ « entraîner l’apparition d’une action contentieuse » (Direction des affaires juridiques, Fiche « Les modalités de modification des contrats en cours d’exécution », 01/04/2019, p.6).

L’objectif clairement affiché de l’article L. 2194-3 du code de la commande publique, entré en vigueur le 24 mai 2019, est de rationaliser l’exécution des marchés publics de travaux et de favoriser l’accès à ces derniers aux petites et moyennes entreprises, en leur assurant une certaine équité financière et une réduction des délais de paiement. S’il ne modifie pas substantiellement l’état du droit, ce texte constitue un nouveau fondement qui, par sa valeur législative, ne manquera certainement pas d’être utilisé par les titulaires pour exiger le paiement des travaux supplémentaires et, ce, dès leur début d’exécution. Les acheteurs doivent désormais être particulièrement vigilants sur ce point. À défaut de fixation d’un prix complémentaire ou en cas de report de cette fixation à une date ultérieure, ils voient le risque de se heurter à un refus d’exécution de la part des entrepreneurs et, par suite, d’un blocage du chantier, augmenté.

Penser à adapter les CCAP

La mise en œuvre de l’article L. 2194-3 du code de la commande publique ne va toutefois pas s’en soulever d’interrogations. La rédaction retenue semble subordonner le règlement des travaux supplémentaires ayant une incidence financière au fait qu’ils soient, d’une part, demandés par l’acheteur, d’autre part et de manière cumulative, nécessaires au bon achèvement de l’ouvrage. A contrario, les travaux qui ne rempliraient pas cette dernière condition, n’auraient donc pas à faire l’objet d’un paiement, quand bien même ils résulteraient d’une décision de l’acheteur. Des précisions jurisprudentielles devront être apportées sur ce point, bien que l’on puisse d’ores et déjà douter qu’une telle interprétation, purement littérale, corresponde à l’intention du législateur. Dans l’attente, il reste prudent de veiller à valoriser toute prestation non incluse dans le marché initial commandées aux entrepreneurs, cette commande pouvant prendre la forme d’ordres de service, lesquels peuvent être établis par le maître d’ouvrage ou, lorsqu’il y est habilité contractuellement, par le maître d’œuvre mais également d’avenants ou d’ordres donnés verbalement et dont le titulaire serait en mesure de ramener la preuve.

L’absence de demande de l’acheteur ne fait cependant pas nécessairement obstacle au paiement des travaux supplémentaires exécutés : le titulaire dispose toujours de la faculté de solliciter l’octroi d’une indemnisation sur le fondement des sujétions imprévues ou encore des travaux indispensables. En tout état de cause, il est vivement conseillé aux acheteurs de prévoir dans leur CCAP que les ordres de service ayant une incidence financière ne peuvent pas être établis par le seul maître d’œuvre et qu’ils doivent nécessairement être contresignés par les maîtres d’ouvrage. Ne pas prévoir un tel dispositif contractuel conduit, en effet, à accorder au maître d’œuvre le pouvoir de commander des prestations supplémentaires, lesquelles, selon la loi « PACTE », doivent ouvrir droit à rémunération complémentaire pour l’entreprise. Dans ce cas, l’addition risque d’être salée pour l’acheteur.

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