Les conditions de cession d’un marché par un titulaire en faillite

Un acheteur public peut-il désigner un nouveau cocontractant sans remise en concurrence si l’attributaire initial se retrouve en situation de faillite ? Et si oui, le nouvel opérateur économique, en plus des droits et obligations du contrat, doit-il aussi reprendre impérativement au moins une partie de l’activité de l’entreprise défaillante ? Deux questions récemment élucidées par la CJUE.

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Tout commence avec plusieurs accords-cadres lancés par une agence du gouvernement suédois pour l’achat de matériel informatique. L’une des entreprises retenues fait faillite. L’acheteur autorise alors l’administrateur judiciaire à céder quatre accords-cadres à une autre entreprise retenue. Aucune procédure de passation n’est relancée. Un soumissionnaire évincé déclenche alors un contentieux devant le tribunal administratif de Stockholm. Lequel rejette sa requête. Le litige, qui se poursuit devant la CAA puis la Cour suprême, se cristallise autour de la notion de transfert d’activité.

Le danger d’un trafic de contrats ?

Le pouvoir adjudicateur estime que le contractant cessionnaire est seulement tenu de se substituer au contractant initial dans les droits et les obligations résultant du marché ou de l’accord-cadre en cause. Sans qu’il soit besoin de transfert d’activités ou de transfert de patrimoine. L’essentiel étant que le prestataire soit en capacité d’exécuter le contrat, conformément aux conditions et aux exigences du départ.

L’entreprise requérante met en avant un autre point de vue. Il est, à ses yeux, essentiel que les actifs utilisés pour l’exécution de l’accord-cadre, ou au moins une partie d’entre eux, soient transférés au remplaçant afin de ne pas porter atteinte à l’égalité de traitement. Elle argue que cette cession de marchés sans cession simultanée d’une partie de l’activité pourrait conduire à un trafic de contrats.

Comment interpréter de l’article 72 de la directive 2014/24

La Cour suprême suédoise questionne alors la CJUE : comment faut-il interpréter l’article 72 de la directive 2014/24 ? Dans un premier temps, les magistrats européens rappellent que la substitution d’un nouveau contractant à l’attributaire d’origine constitue une modification substantielle du marché. Et donc implique une nouvelle procédure de passation.

Cependant, la directive prévoit une exception à la règle. Elle permet à l’acheteur de procéder au remplacement sans nouvelle mise en concurrence, « lors d’une succession universelle ou partielle du contractant initial, à la suite d’opérations de restructuration de société, notamment de rachat, de fusion, d’acquisition ou d’insolvabilité. »

Le seul transfert d’un marché est possible

Pour la CJUE, le caractère total ou partiel de la substitution indique qu’elle peut impliquer « la reprise, par le nouveau contractant, de l’ensemble ou d’une partie seulement du patrimoine du contractant initial » et donc se traduire seulement par le « transfert d’un marché public ou d’un accord-cadre relevant du patrimoine du contractant initial. »

Il n’en reste pas moins que le remplaçant doit les critères de sélection qualitative établis à l’origine, prévient la Cour. Par ailleurs, il n’y a aucun doute aux yeux des magistrats : la notion de « restructuration » indiquée dans la directive englobe les modifications structurelles du contractant initial, notamment l’insolvabilité qui comprend la faillite aboutissant à la liquidation.

Une analyse pragmatique de la Cour

Comme l’avait indiqué l’avocat général dans ses conclusions, l’acheteur public, confronté à un titulaire incapable d’honorer le contrat en raison de son insolvabilité, doit pouvoir trouver un remplaçant « sans accuser de retards démesurés ni renchérir de manière disproportionnée le marché concerné par une nouvelle procédure de passation ». La directive vise donc à répondre au problème « dans l’intérêt tant du pouvoir adjudicateur que de l’adjudicataire et de ses créanciers ».

En conséquence l’article 72 de la directive 2014/24 doit être interprété pour la CJUE « en ce sens qu’un opérateur économique qui, à la suite de la mise en faillite du contractant initial ayant abouti à la liquidation de celui-ci, n’a repris que les droits et les obligations de ce dernier découlant d’un accord-cadre conclu avec un pouvoir adjudicateur doit être regardé comme ayant succédé à titre partiel à ce contractant initial, à la suite d’opérations de restructuration de société, au sens de cette disposition. »

Référence : CJUE, 3 février 2022, n° C-461/20

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