Le maître d’ouvrage public et l’exécution des travaux durant la crise sanitaire

L’épidémie, le confinement et les précautions sanitaires ont bouleversé l’exécution des marchés de travaux. Antoine Alonso, avocat au cabinet Alma, revient sur les options qui s’offrent au maître d’ouvrage – ajourner ou pas un chantier – avec les conséquences financières qu’elles impliquent.

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La pandémie de Covid-19 constitue une situation inédite. À l’origine de nouvelles contraintes et obligations en termes d’hygiène et de sécurité sur les lieux de travail, elle génère des surcoûts importants d’exécution des marchés publics. La question de la prise en charge de ces surcoûts est au cœur des préoccupations des différents acteurs de la commande publique.

Les entrepreneurs tendent à se tourner quasi-systématiquement vers le maître d’ouvrage, dont ils attendent qu’il assume la gestion de la crise sanitaire et ses conséquences. Deux options s’ouvrent alors au maître d’ouvrage : accepter de prononcer l’ajournement du chantier ou pas.

Qui dit ajourner, dit indemniser

L’ajournement du chantier ne revêt pas de caractère obligatoire. Elle est prévue par l’article 49.1 de l’arrêté du 8 septembre 2009 portant approbation du cahier des clauses administratives générales applicables aux marchés publics de travaux (ci-après « CCAG-Travaux »), auquel se réfère la plupart des contrats.

Conformément à ce texte, la décision d’ajournement peut être prise librement par le maître d’ouvrage mais implique un droit à indemnisation pour le titulaire au titre de la garde du chantier, qui est sinon en principe comprise dans le prix, et de ses éventuels préjudices.

Antoine Alonso

Une indemnité d’attente de reprise des travaux peut également être octroyée. Autrement dit, le maître d’ouvrage qui prend l’initiative d’ajourner le chantier endosse, au moins en partie, les suites financières de la crise sanitaire. Cette responsabilité est d’autant plus étendue que le maître d’ouvrage est exposé à des demandes financières non seulement des titulaires des marchés mais également de leurs sous-traitants. Dès lors que ces derniers ont été régulièrement agréés, ils disposent, dans le cadre du paiement direct, de la possibilité de solliciter la réparation de leurs préjudices directement auprès du maître d’ouvrage.

Force majeure = impossibilité d’exécuter le marché

Il peut, à l’inverse, refuser d’ajourner les travaux, auquel cas la responsabilité de poursuivre l’exécution de ses prestations incombe à chaque entrepreneur. Le risque indemnitaire pour le maître d’ouvrage n’est alors pas écarté, mais les réclamations des titulaires sont rendues plus difficiles. Il leur appartient de rapporter la preuve qu’ils remplissent les conditions, soit de la force majeure, soit de l’imprévision.

La force majeure entraîne une impossibilité d’exécution absolue du marché. Ayant un effet avant tout exonératoire de responsabilité, elle n’ouvre droit à indemnisation que de manière résiduelle et limitée, par exemple, s’agissant des pertes et avaries subies par le titulaire sur le fondement de l’article 18.3 du CCAG-Travaux.

À la différence de la force majeure, l’imprévision rend « seulement » l’exécution du marché plus difficile et onéreuse mais, lorsqu’elle est établie, sa portée indemnitaire est plus large. Ces différentes notions étant susceptibles d’aménagements contractuels par la volonté des parties, il convient d’effectuer une appréciation marché par marché.

Pas de pénalité de retard

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Quelle que soit la solution retenue par le maître d’ouvrage, l’article 6 de l’ordonnance n°2020-319 du 25 mars 2020 portant diverses mesures d’adaptation des règles de passation, de procédure ou d’exécution des contrats soumis au code de la commande publique et des contrats publics qui n’en relèvent pas pendant la crise sanitaire née de l’épidémie de covid-19, prévoit qu’il ne pourra appliquer aucune pénalité de retard au titulaire qui justifie rencontrer des difficultés d’exécution.

En vertu du même article, le maître d’ouvrage doit accorder au titulaire qui en fait la demande avant l’expiration du délai contractuel d’exécution, une prolongation de ce délai si son respect est de nature à entraîner une charge manifestement excessive. La durée de la prolongation ne peut être inférieure à la date de fin de l’état d’urgence sanitaire, pour l’instant fixée au 24 mai 2020, augmentée de deux mois. Ces dispositions s’imposent à l’ensemble des maîtres d’ouvrage, nonobstant toute clause contractuelle contraire, sauf pour les stipulations qui seraient plus favorables au titulaire.

Ce nouveau cadre règlementaire dérogatoire au droit commun, créée spécialement pour faire face à la pandémie de Covid-19, atteste de son caractère exceptionnel et de son ampleur. Il sera très probablement modifié et complété lorsque toutes les conséquences de la crise sanitaire pourront être mesurées.

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