Le dialogue compétitif, procédure à justifier au maximum

Une récente décision de tribunal administratif vient de rappeler aux acheteurs qu’ils ont tout intérêt à justifier par tous les moyens le recours au dialogue compétitif. Pour éviter de tomber dans la chausse-trappe d’un contentieux qui se termine mal, trois avocats donnent leurs conseils.

© Epictura

Si l’on en croit le BOAMP, les dialogues compétitifs se comptent sur les doigts d’une main. A peine 7 sur 9688 avis de marchés recensés sur son site par exemple pour la période comprise entre la mi-juin et la mi-septembre. Délicate à mettre en place, en raison des négociations parallèles avec les fournisseurs retenus et des mesures prévenant toute fuite d’informations, cette procédure dérogatoire implique aussi que l’acheteur puisse justifier son usage.

Car elle n’est autorisée que dans 6 cas : s’il n’y a pas de solutions sur étagère prêts à être utiliser sans adaptation, si le besoin nécessite une solution innovante, lorsque le marché comprend des prestations de conception, si le marché ne peut être attribué sans négociation préalable du fait de sa nature, de sa complexité ou de ses risques, quand l’acheteur ne peut définir précisément les spécifications techniques, ou, enfin dans le cas de figure où seules des offres irrégulières ou inacceptables ont été présentées.

Un besoin a priori complexe

Cet été, le TA de Rennes a été amené à juger de la légitimité du dialogue compétitif engagé en mai par un groupe hospitalier pour la location de téléviseurs avec infogérance. Ecartée au stade de la candidature, une entreprise a, en effet, déposé un recours pour annuler la procédure. Il s’agissait, pour l’acheteur, à la fois de remplacer les équipements dont il était propriétaire par du matériel loué, et d’externaliser la maintenance.

Aux yeux de l’établissement public, le dialogue compétitif se justifiait en raison de la complexité de son besoin : les équipements devaient être compatibles avec différents types de branchements sur quatre sites. La solution devait aussi comprendre un système permettant d’offrir aux patients un bouquet de services (chaînes nationales et locales, radios numériques, canal interne pour la communication institutionnelle de l’établissement et la diffusion d’informations sur l’hospitalisation).

Procédure annulée

Des exigences techniques et des prestations d’infogérance sur mesure qui nécessitaient, toujours selon le pouvoir adjudicateur, d’imaginer une solution innovante, dans le but d’avoir, in fine, un outil unique administré de façon centralisée et interfacé avec le dispositif de facturation.

Le juge des référés ne l’a pas entendu de la même oreille : le marché en cause n’était pas particulièrement complexe, il n’avait pas besoin d’adapter une solution disponible et ne nécessitait pas le développement ad hoc d’une solution innovante. La procédure a donc été annulée.

Avocat associé au cabinet LexCase, Raphaël Apelbaum, citant l’arrêt Lyon Métropole Habitat du Conseil d’Etat concernant l’utilisation de la procédure avec négociation (lire notre article du 19 octobre 2020), met en avant que ce n’est pas un jugement isolé.

Motiver le recours à la procédure dans le RC

Antoine Woimant

Quelles leçons tirer de cette mésaventure ? Les avocats interrogés insistent tous sur les précautions à prendre en amont, avant de lancer la procédure. Pour Me Antoine Woimant, avocat au cabinet MCL, l’acheteur aurait dû opérer plus d’efforts en amont pour motiver l’utilisation du DC. « En résumé, pour utiliser cette procédure dérogatoire, l’acheteur ne doit pas être en mesure de rédiger le cahier des charges pour répondre à son besoin, et cela même en étant accompagné d’un AMO. Pour sécuriser le recours au DC, le pouvoir adjudicateur aurait eu tout intérêt à se faire accompagner préalablement par un AMO. Si l’expert avait été dans l’incapacité à l’aider pour la formalisation de ses exigences, la complexité du marché aurait été caractérisée. »

« Le coût d’un AMO sur ce type de processus n’aurait pas modifié l’enveloppe prévisionnelle affectée au marché. Peut-être que l’attribution aurait été légèrement retardée mais sans aucune comparaison possible avec les conséquences de l’annulation de la procédure par le juge des référés », précise-t-il.

Me Raphaël Apelbaum préconise de son côté de motiver le recours au DC dans le règlement de la consultation, en expliquant pourquoi l’acheteur a opté pour cette technique. « L’erreur, c’est d’attendre le tribunal administratif pour justifier son usage », alerte-t-il. Même son de cloche chez Me Rayssac, avocat au cabinet Rayssac : « Il faut davantage inciter les acheteurs à mettre en avant les éléments de complexité dans le RC afin de montrer qu’ils ne tentent pas de contourner l’appel d’offres ouvert et qu’ils ont réfléchi au sujet. »

Rodolphe Rayssac

Me Rayssac précise en outre que l’acheteur aura tout intérêt, comme cela s’impose pour la procédure avec négociation (PAN), de souligner dans le cahier des charges les éléments de complexité qui feront l’objet des séances de dialogue. Au-delà de l’efficacité opérationnelle lors des échanges avec les candidats, cette pratique permettra en cas de contentieux de rappeler au juge les sujets qui avaient été initialement envisagés comme justifiant expressément le recours à cette procédure.

Prudence lorsqu’on écarte un candidat

Autre suggestion : demander par écrit aux candidats leur accord pour participer au dialogue compétitif. « Cela ne fera pas échec à un éventuel contentieux, mais en cas de besoin, il faut mieux avoir un outil sur la table que rien du tout », conclut Me Apelbaum. Les deux avocats conseillent enfin de redoubler de prudence lorsqu’il s’agit d’écarter une candidature dans une procédure aussi sensible.

Raphael Apelbaum © Célia Marjolet

« Il faut faire en sorte que puisse participer le plus grand nombre dans ce type de procédure restreinte. Et en tout cas d’expliquer de façon claire pourquoi la candidature est écartée. Les guerres contentieuses commencent souvent en raison d’un défaut de communication », prévient Me Apelbaum. « Même si cela semble plus facile à dire qu’à faire, mieux vaut élargir au maximum le nombre de candidats amenés à dialoguer puisque ces derniers ne pourront pas, en participant au DC, se prévaloir d’une lésion devant un juge », conclut Me Rayssac.

Me Apelbaum rappelle que les conditions de recours encadrées pour le dialogue compétitif sont aujourd’hui identiques à celles énumérées pour la procédure avec négociation au-delà des seuils (voir article R.2124-3 Code de la commande publique) : nous disposons donc avec cette nouvelle jurisprudence et celle du Conseil d’Etat rendue en 2020 (arrêt précité, Lyon Métropole Habitat) d’une double alerte donnée aux acheteurs publics pour limiter le risque dans la préparation et la rédaction de leurs dossiers d’appel d’offres.

Référence : TA Rennes, ordonnance du 20 juillet 2021, n°2103274

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