Comment sécuriser son contrat de maîtrise d’œuvre

Le CHU de Nantes change de maître d’œuvre dans la construction d’un futur hôpital de plus d’un milliard d’€ pour 2026. La facture qui a déjà doublé risque de s’alourdir encore. Comment prévenir ce genre de situation ? Comment sécuriser un contrat de maîtrise d’œuvre ? Trois avocats donnent leur point de vue.

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Le « Projet île de Nantes » est un chantier hors-norme. « Cœur » d’un nouveau quartier, le futur CHU, décidé en 2013, est évalué à 528 millions d’€ en 2014, puis à 954 millions d’euros en 2016. Il atteint aujourd’hui un coût prévisionnel d’1,2 milliard. Un marché global de maîtrise d’œuvre a été passé en 2015 avec un cabinet d’architectes international. Depuis, le stade de l’avant-projet sommaire n’a jamais pu être dépassé. Maître d’ouvrage et maître d’œuvre ne se sont jamais entendus non plus sur la rémunération du second.

Ne pas choisir son maître d’oeuvre trop tôt

Le contrat a été rompu au printemps dernier. D’abord résilié pour faute par le CHU en raison du « dépassement du coût prévisionnel ». Puis annulé d’un commun accord après que le groupement de maîtrise d’œuvre a contesté la décision devant le tribunal administratif. Avant de se désister, un dédommagement a été négocié avec le CHU.

« L’étonnant dans ce dossier est d’abord d’avoir choisi le maître d’œuvre en 2015, pour un projet devant être livré en 2023 puis en 2026. Il n’y a pas d’intérêt pour un maître d’ouvrage à conclure ce type de contrat trop tôt. Avec le temps, les aléas risquent de se produire, cela peut remettre en cause la mission confiée au maître d’œuvre », explique Nicolas Lafay, avocat spécialisé en droit de la commande publique à Paris.

Être transparent sur les incertitudes

Clément Gourdain

Avocat à Nantes, également spécialisé en droit de la commande publique, Clément Gourdain recommande à un maître d’ouvrage de se pencher auparavant avec soin sur son projet. « Le programme de l’opération se définit en amont, souligne-t-il. Surtout dans le cas d’une opération complexe comme celle-ci. Un assistant à maître d’ouvrage doté des compétences nécessaires, bureaux d’études, finances, économie de la construction, programmistes doit définir un projet suffisamment abouti à partir duquel mener la recherche du maître d’œuvre. »

À Nantes, le projet du futur CHU a connu des difficultés : retard dans la libération de l’emprise foncière, obtenue finalement en 2018 ; déclaration forfait d’une des composantes potentielles du CHU, l’Institut de Cardiologie de l’Ouest, resté dans le Nord de la ville ; variation dans le phasage du projet.

Xavier Mouriesse

« Il faut tenter d’avoir suffisamment de certitudes sur le programme, ajoute Xavier Mouriesse, avocat associé au cabinet BRG, pour définir une enveloppe financière relativement fiable en se donnant des marges de sécurité. Déjà prendre en charge l’évolution du coût de la construction et prévoir quand même des aléas programmatiques. »

Négocier des seuils de tolérance

Pour lui, une deuxième recommandation essentielle porte sur la négociation avec la maîtrise d’œuvre choisie : « Sa rémunération forfaitaire provisoire doit tenir compte de la complexité du projet. Mais concernant la base de cette rémunération, il faut définir avec précision les mécanismes de demandes d’augmentation des coûts des travaux à chaque étape du travail du maître d’œuvre, même à partir du stade initial des études, avec les justificatifs adéquats. »

« Il faut être très clair aussi, avec lui, sur les incertitudes qui restent. Mais négocier les seuils de tolérance à deux stades : avant les travaux et à la réception des travaux », poursuit l’avocat. Selon lui, dans la suite du processus, l’essentiel est de figer le projet au stade de l’avant-projet définitif (APD) et donc la rémunération définitive du maître d’œuvre.

Clauses d’arrêt de prestation

Nicolas Lafay

La question du dépassement des coûts étant centrale, Nicolas Lafay recommande d’inscrire au contrat des clauses d’arrêt de prestations à la fin de chaque étape (AVP, PRO, ACT, DET, AOT, etc) avec pénalités et primes assorties. Cela demande de définir et chiffrer chaque étape. Mais en cas d’arrêt de la prestation, à l’initiative de l’une ou de l’autre des parties, le maître d’ouvrage n’a aucune indemnisation à verser. Et il est mis fin au contrat.

Pour éviter d’en arriver là parce que choisir un nouveau maître d’œuvre est toujours un grand facteur de complications (délais, coût de gestion des droits de propriété intellectuelle du premier maître d’œuvre, de la reprise du travail par le nouveau, de réclamations des entreprises de travaux), Clément Gourdain suggère que les clauses de règlements des litiges à l’amiable prévoient l’appel au médiateur des entreprises.

L’institution, logée à Bercy, est plus récente que l’ancien comité consultatif interrégional des règlements des litiges en matière de marchés publics. Mais elle est efficace et tenue elle aussi au secret.

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