Comment faire face aux surcoûts imprévus

Quelles que soient les précautions prises par les acheteurs, les modifications de prix ne peuvent pas toujours être anticipées au gré des aléas de l’exécution d’un marché. Comment gérer impondérables techniques et surcoûts imprévus sans risquer un contentieux ? Un acheteur et un magistrat nous livrent leur point de vue.

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On ne peut pas tout prévoir au moment de l’élaboration d’un marché, même avec des clauses particulières. D’où les problèmes qui peuvent survenir en cours d’exécution lorsqu’il devient nécessaire de modifier les prix. Les acheteurs sont confrontés le plus souvent à deux cas de figure : les évolutions justifiées par des impondérables techniques et celles qui le sont par des surcoûts imprévus. Les prestations supplémentaires doivent-elles faire alors l’objet d’une rémunération ou d’une indemnisation ?

 

Pour Nicolas Cros, directeur des achats et de la commande publique de Bordeaux Métropole, les deux solutions sont possibles selon les cas de figure : « Nous étudions les demandes de modification au cas par cas en privilégiant le dialogue, explique-t-il, ainsi, lorsqu’elles sont justifiées, cela passe le plus souvent par la rémunération. Si l’on doit en arriver à la demande indemnitaire, nous essayons systématiquement de rechercher une solution amiable du type transaction ou recours au CCIRA, par exemple. La voie contentieuse n’intervient qu’en dernier recours ».

 

À l’occasion d’un colloque organisé en novembre dernier par le barreau de Marseille, Renaud Thielé, rapporteur public à la 6ème chambre de la CAA de Marseille, relevait que la question n’était pas clairement tranchée par la jurisprudence, même si elle semblait s’orienter plutôt vers l’indemnisation : « Le principe de stricte indemnisation a été confirmé par des jurisprudences récentes (CE, 22 février 2008, Société NTA, n° 274669 ; CE, 27 octobre 2010, Syndicat intercommunal des transports publics, n° 318617), en outre, la prise en compte du droit européen incite aujourd’hui plutôt à limiter le paiement des travaux supplémentaires à une indemnisation des surcoûts ».

 

Comment reconnaître des prestations supplémentaires ?

 

Déterminer le contour des prestations supplémentaires, ce n’est pas si simple… À Bordeaux Métropole, Nicolas Cros étudie là-aussi la situation au cas par cas en s’appuyant sur les spécifications techniques du cahier des charges. Les prestations qui n’y figurent pas sont donc qualifiées de prestations supplémentaires. En effet, pour Renaud Thilié, « l’idée générale qui semble se dégager de la jurisprudence est que toutes les prestations dont la réalisation n’est pas nécessaire au respect des obligations contractuelles sont supplémentaires ».

 

Tout dépend alors de la précision des obligations contractuelles : « Si un entrepreneur est amené à réaliser des fondations plus profondes que celles prévues au contrat, il s’agit bien de travaux supplémentaires, explique le magistrat marseillais, en revanche, si le marché ne comporte pas de précision sur les modalités des prestations affectées par les difficultés, les travaux réalisés ne peuvent pas être regardés comme supplémentaires. Ainsi, si un contrat ne prévoit pas le degré de résistance attendu des fondations, les travaux réalisés en plus de ce qu’avait prévu l’entrepreneur ne sont pas des travaux supplémentaires (CE, 3 / 6 SSR, 5 mai 1971, Société Entreprise Dodin, n° 77468, au recueil Lebon p. 329) ».

 

Pour appuyer son propos, Renaud Thilié prend l’exemple inverse : « Si le contrat précise quels ouvrages doivent être démolis, une démolition non prévue constituera des travaux supplémentaires » (CE, 5 SSJS, 4 juillet 2012, commune de Quinéville, n° 343539, inédit au Lebon). Pour lui, cette question n’est pas tranchée clairement par la jurisprudence…

 

L’indemnisation limitée à deux hypothèses

 

Nicolas Cros

Comme le souligne le directeur des achats et de la commande publique de Bordeaux Métropole, les modifications de prix peuvent également être justifiées par des difficultés et des surcoûts imprévus : « Il suffit parfois qu’un corps intermédiaire prenne du retard pour bloquer tout un chantier, dit Nicolas Cros, nous avons également été confrontés à la mise en liquidation judiciaire du titulaire d’un lot et, avec la situation actuelle, il y a toutes les chances que les défaillances soient plus nombreuses, et qu’il nous faille donc accepter de modifier en partie les prix sans que nous n’ayons pu l’anticiper, bien sûr ».

 

Mais là encore, le directeur des achats et de la commande publique de Bordeaux Métropole privilégiera le dialogue et la négociation. À Marseille, à la cour administrative d’appel, Renaud Thielé tient à souligner le flou qui résulte en partie, selon lui, de l’inflexion jurisprudentielle majeure causée par les jurisprudences “Région Haute-Normandie” de 2013 et “Tonin” de 2015 : « Désormais, l’indemnisation des surcoûts est limitée à deux hypothèses, soit en cas de fait fautif du maître d’ouvrage, soit, dans le cas où la cause de ces surcoûts est extérieure aux parties, exceptionnelle, imprévisible et qu’elle bouleverse l’équilibre du contrat, sur le fondement de la théorie des sujétions imprévues » (CE, 7 / 2 SSR, 5 juin 2013, Région Haute-Normandie, n° 352917).

 

Reste la question classique des aléas de chantier : « Des aléas de chantier il y en a toujours, explique Nicolas Cros, le fournisseur doit les appréhender, même si nous essayons de prévoir des hypothèses de réalisation dans les clauses de réexamen ».

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