Wagon thérapeutique : un voyage simulé mais stimulant

Le wagon Grand-Via embarque les patients atteints de troubles cognitifs pour un voyage imaginaire qui réveille les souvenirs et assoupit les tensions. Testé au CHU d’Amiens, l’outil thérapeutique virtuel a conquis plusieurs EHPAD. Relaxant, le périple favorise aussi le retour à l’expression orale grâce aux échanges avec les autres passagers.

© MDR Villers-Bretonneux

Si les voyages forment la jeunesse, ils peuvent aussi réformer certains troubles de l’âge. C’est le pari de Jean-Christophe Froment et de Julie Ernecq qui, avec l’appui du Professeur Bloch, chef de gériatrie au CHU d’Amiens, ont développé un wagon simulateur capable de transporter dans leur passé les personnes atteintes de dégénérations cognitives.

La thérapie du voyage n’est pas nouvelle… Mais, imaginée il y a huit ans environ en Italie, son prix – quelque 40 000 euros HT – la rendait inaccessible à la majorité des EHPAD. « En tant qu’entreprise de l’innovation sociale conciliant activité économique et intérêt général, nous avons donc souhaité concevoir un dispositif français moins onéreux afin de démocratiser cette thérapie extraordinaire », explique Jean-Christophe Froment, directeur de la start-up amiénoise SIGO.

Les paysages défilent, les souvenirs aussi

Ainsi, avec l’appui notamment de la Fondation SNCF, un wagon prototype – le Grand-Via – est-il sur les rails en 2019 pour un prix de base de 20 000 euros HT. Une horloge, un tableau horaire, des bancs, un guichet et le compartiment de « première classe » grandeur nature, équipé de ses quatre fauteuils confortables avec appuie-tête…

© Grand-via

L’illusion trouve son point d’orgue dans la fausse fenêtre derrière laquelle les vidéos de paysages défilent, provoquant un reflux des souvenirs au cours de trajets allant de 13 à 25 minutes. Mais pas que ! Testé un an au CHU d’Amiens, « le dispositif indiqué pour des résidents présentant des troubles du comportement (déambulations, envie de partir, agitations, angoisse, colères…) permet aussi de trouver l’apaisement, voire de faciliter l’endormissement », rapporte Jean-Christophe Froment.

Un wagon… moteur

Animatrice de l’EHPAD de Villers-Bretonneux, Laurence Caron s’avoue conquise : « lumières tamisées, espace cocooning… À tous ceux qui désirent partir, « rentrer chez leurs parents », et qu’il est parfois violent de devoir contrarier, cette thérapeutique par l’évasion offre un vrai dérivatif rassérénant », décrit-elle. Pour son homologue Delphine Varnière, qui en fait profiter les résidents de l’EHPAD de l’hôpital de Beauvais depuis plus d’un an, « les effets positifs sont même très nets : le voyage rappelle des trajets antérieurs et la relaxation suit, jusqu’à pouvoir éviter, parfois, la prise médicamenteuse. »

© Grand-via

Mieux encore : l’escapade virtuelle signe aussi le départ d’un nouveau dialogue, « des personnes ne parlant plus ou très peu renouent soudain avec l’expression orale, avec l’accompagnant et/ou les autres résidents-passagers », rapporte la professionnelle. Au Centre départemental de repos et de soins de Colmar où le Grand-Via vient d’être installé, « une petite salle annexe fera d’ailleurs office de guichet afin de susciter un travail sur les différents troubles à partir des horaires ou de la monnaie (mémoire, langage, calcul…) et sur la désorientation avec le parcours jusqu’au quai d’embarquement », précise la cadre socio-éducatif, Esther Gauci.

Un lieu à la hauteur

Avec un professionnel ou en famille pour la joie de revivre ces instants ensemble, agrémenté ou non d’huiles essentielles pour compléter la simulation et doper la stimulation sensorielle, « le wagon thérapeutique ne permet certes pas d’accroître les capacités. Mais il peut, par le bien-être, maintenir un état plus vigilant », résume donc Laurence Caron. Elle poursuit : « complémentaire de la table magique (lire notre article du 14 septembre 2021) ce dispositif correspond parfaitement aux profils de résidents actuels, de plus en plus inaptes aux activités manuelles classiques. »

©Grand-via

Esther Gauci renchérit « Il offre une façon innovante de travailler, moins routinière. » Un dispositif qui, hormis les claustrophobes, a – de plus – le mérite de plaire à tous et s’avère très facile d’utilisation : « plutôt que de les emmener faire leur tournée avec eux, les collègues de nuit peuvent ainsi s’en servir pour apaiser les personnes qui déambulent », précise la professionnelle colmarienne.

Reste néanmoins sa mise en place : installé (et démontable), Grand-Via ne nécessite qu’un espace de 3m x 2,5m, soit 7,5 m2. Toutefois, une grande pièce est hautement conseillée afin de permettre le recul sur la façade du train et agrémenter le décor. À Villers-Bretonneux, le wagon est ainsi installé dans un hall où ont été ajoutés un quai avec une machine à café, des bancs et des lampadaires.

Un billet qui a un coût

Bien que deux fois moins cher que le wagon transalpin, Grand-Via demeure néanmoins un investissement de taille pour un établissement et tous ont dû, à ce jour, bénéficié d’aides pour l’acquérir, Département, ARS ou Conférence des Financeurs. Aux côtés des subventions municipales, Villers-Bretonneux a même fait appel aux mécènes privés : par le biais d’une cagnotte Leetchi, son projet, principalement financé par le Crédit Agricole (Caisse locale et Fondation nationale), a aussi été abondé par les personnels, les familles ainsi que les entreprises et commerces locaux.

Jean-Christophe Froment le promet donc : « Nous essayons continuellement d’adapter notre dispositif pour ne pas avoir à augmenter notre tarif face à la hausse de certains matériaux et, grâce à la Fondation SwissLife, nous pourrons en 2022, proposer gratuitement de nouveaux films à nos utilisateurs. » Récemment contactée par des EHPAD québecois, la start-up projette par ailleurs son installation au Canada. Cette fois, le Grand-Via va donc voyager pour de bon.

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