Les fondations de l’hôpital agile

Les hôpitaux sont généralement construits pour durer plusieurs dizaines d’années. Leur organisation spatiale a tendance à devenir de plus en plus vite obsolète, en raison de l’évolution rapide des pratiques et de crises comme celle du coronavirus. L’agilité des établissements sanitaires passe par une nouvelle approche modulaire, avec l’homogénéisation d’une partie de ses locaux. Mais pas seulement.

© Epictura

« Un hôpital non agile sur le plan architectural, c’est très compliqué à gérer en cas de crise ». Invité à une table-ronde en février dernier par le cabinet Architecture studio, le docteur Bruno Jarrige, du CHU Guadeloupe, sait de quoi il parle. L’établissement sanitaire antillais, quarante ans d’âge, a été obligé de transformer un self en unité de réanimation, face à l’afflux brutal de patients Covid. Pour anticiper les évolutions et affronter d’autres périodes de tension, la modularité s’affirme de plus en plus. Le prochain hôpital de Pointe-à-Pitre, déjà très développement durable (lire notre article du 7 janvier 2021 ), a été imaginé de cette façon.

La capacité à se transformer

Il n’est pas le seul. Associée de l’agence Architecture studio, Marie-Caroline Piot a cité celui de Tanger, bientôt terminé. La structure a été pensée dans le moindre détail, y compris dans ses réseaux, de manière à pouvoir se transformer, à réduire ou agrandir des services, à se diviser pour que la partie non concernée par une crise puisse continuer à fonctionner normalement.

« Quand on conçoit un lieu, on ne sait pas ce qu’il va devenir dans 10, 20 ou 50 ans », a confirmé le designer Patrick Jouin qui conçoit les espaces intérieurs de façon à ajouter ou retirer des équipements, « on ne sait pas non plus à quoi ressemblera un écran ou un système de sécurité, ni comment ils fonctionneront ou seront alimentés ».

Cependant, note Laurent-Marc Fisher, également associé d’ Architecture studio, les programmes hospitaliers différencient excessivement la destination des locaux, avec, par exemple, une multitude de groupes de chambre, associés à des spécifications techniques particulières, comme si tout était défini parfaitement « une fois pour toute, pour toujours ». Selon lui, l’agilité dépend, au contraire, de la capacité de ces groupes à passer, en cas de besoin et avec de légers aménagements, à une autre activité, même s’ils serviront à 90 % à leur fonction initiale.

S’ouvrir sur la ville

Le positionnement spatial de l’hôpital a aussi son rôle à jouer. Du point de vue de Matthieu Sibé, chercheur et maître de conférences à l’Institut de santé publique, d’épidémiologie et de développement de l’université de Bordeaux, l’avenir passe par un l’hôpital sans frontières avec la ville, ouverte sur un parcours de santé et de vie où interviennent d’autres structures.

L’architecture doit donc prévoir cette intégration à un réseau qui nécessite des interactions, se fondre dans les murs de la cité qui peut rattraper l’hôpital et l’envelopper. A Tanger, une rue centrale, abritée par une canopée, rassemblant espaces intérieurs et extérieurs, peut être prolongée pour assurer la connexion. Cette philosophie est déjà présente à Singapour, où la présence de restaurants, de boutiques et de galeries commerciales au sein même des établissements de santé assure une liaison naturelle entre la ville et l’hôpital.

Un endroit où il fait bon vivre et travailler

« Pour passer d’un hôpital fragile à un hôpital agile, un hôpital où il fait bon vivre, où il fait bon travailler, où il fait bon se faire soigner », il faut penser aussi au bien-être des utilisateurs, à la qualité au travail, a insisté Matthieu Sibé. D’où l’intérêt de co-concevoir, en associant tous les acteurs. Dans le but de limiter les déplacements, le prochain CHU de Guadeloupe a recherché des logiques horizontales et verticales, avec des voisinages utiles (par exemple gériatrie et orthopédie). Il a aussi repensé la place des bureaux des médecins afin de favoriser les échanges entre praticiens.

Aux yeux de Patrick Jouin, l’espace participe au bien-être. Il faut penser les lieux pour tous ceux qui les utilisent, les patients, les visiteurs, souvent gagnés par le stress et l’angoisse, et le personnel, tous métiers confondus, des médecins aux équipes chargées de la propreté. Le designer plaide en faveur du beau : on a déjà peur d’aller à l’hôpital, il ne faut pas qu’il soit repoussant.

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