Le service de santé des armées table sur le décret « achat innovant »

Contrairement à de nombreux acheteurs publics, plutôt frileux sur le sujet, le service de santé des armées (SSA) n’hésite à se servir du décret du 24 décembre 2018. Dans ce cadre, il a par exemple imaginé, à partir des suggestions d’un médecin de terrain et avec l’aide d’un industriel, l’ensemble mobile de manipulation articulaire (EMMA), testé durant l’opération Barkhane. Le nouvel équipement devrait également bénéficier au monde civil.

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Cadre expérimental valable pendant trois ans, le décret du 24 décembre 2018 autorise les acheteurs publics à passer un marché sans publicité ni mise en concurrence préalables portant sur des services innovants pour un besoin dont la valeur estimée est inférieure à 100 000 euros hors taxes. Pour l’instant, le texte n’a pas déclenché d’enthousiasme général. Tout au plus une centaine d’utilisations, bien que le chiffre soit sous-estimé selon l’Observatoire économique de la commande publique (OECP).

Si nombre de pouvoirs adjudicateurs hésitent à s’emparer du dispositif, ce n’est pas le cas du service de santé des armées (SSA) qui l’a déjà utilisé, a minima, une dizaine de fois. « Le décret est considéré comme un outil rapide à actionner pour satisfaire un besoin identifié et concrétiser un partenariat choisi », résume le commissaire principal Philippe Maume, chef de la section équipements biomédicaux et matériels d’exploitation de la plateforme achats finances du SSA.


L’innovation, composante de l’ADN des armées


Une utilisation somme toute naturelle puisque l’innovation fait partie de l’ADN du ministère des Armées, qui, par culture et vocation, a toujours cherché à mettre au point de nouvelles solutions avec le monde industriel. Depuis septembre 2018, l’agence innovation défense (AID), rattachée à la délégation générale de l’armement (DGA), se charge de fédérer les nombreuses initiatives ministérielles qui voient le jour.

 

Dans la même logique, le SSA a créé, l’année dernière, un guichet unique innovation, chargé de recueillir et d’étudier toutes les bonnes idées. Implantée à Orléans, la direction responsable des approvisionnements en produit de santé (DAPSA) comprend aussi en son sein une unité recherche et innovation.

 

Cette quête permanente de nouveaux produits, encore plus adaptés aux besoins, est indispensable.  « Nous avons dans nos rangs des équipes soignantes nécessairement mobiles, parfois aéro-embarquées, le tout dans des zones éloignées de la métropole et dans des conditions de sécurité particulières », explique  la plateforme achats finances. À l’écoute des remontées du terrain, le SSA étudie, en 2018, le projet d’une médecin chargée d’effectuer des interventions ostéopathiques. « En opération, nos soldats portent 16 kilos rien que pour l’armement et les équipements de protection, à quoi s’ajoute le sac à dos. Cette surcharge, qu’il faut supporter toute la journée dans n’importe quelle posture, fatigue forcément le système musculo-squelettique ».


Une table élaborée à partir des préconisations d’un médecin

 

L’équipement, une table fixe, dont dispose la soignante ne lui permet pas de travailler dans des conditions optimales, surtout lorsqu’il s’agit de soulager des gabarits à forte corpulence musculaire.  « Il lui occasionnait des pertes d’agrément. Et faute de mieux, les soldats devaient changer de place ou descendre de la table », détaille le commissaire de 1e classe Fabrice Barzu.

 

 

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La praticienne préconise plusieurs modifications susceptibles d’améliorer la prise en charge. Pour construire ce produit inexistant sur le marché, il est décidé de recourir au décret 100 000, après le feu vert du bureau juridique de la plateforme achats finances du SSA, et de négocier directement avec un fabricant.

 

Elaboré d’après les spécifications du médecin, un prototype est d’abord testé sur le site d’Orléans-Chanteau afin de procéder à des vérifications, puis expérimenté en situation réelle pendant l’opération Barkhane. Seules deux ou trois modifications légères sont apportées. Baptisé EMMA pour « ensemble mobile de manipulation articulaire », le nouvel équipement a deux atouts majeurs.

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Comme le niveau de la table peut rapidement être abaissé ou remonté à l’aide d’un vérin, le patient, dont le poids peut atteindre jusqu’à 150 kg, n’a plus à bouger. Configuré pour pratiquer toutes les manipulations de kinésithérapie, le matériel a aussi été conçu de façon à être aisément déplacé dans une caisse, en avion ou par hélicoptère, autrement dit avec la solidité et la résistance nécessaires pour voyager dans des conditions de fret peu communes.


EMMA, source d’éventuelles royalties


Pour l’instant, une seule table a été acquise. « Elle n’a pas vocation à équiper toutes nos bases avancées. Si un soldat souffre énormément, il sera évacué », fait-on valoir au SSA. Le personnel militaire n’aura pas l’apanage d’EMMA. « Ce matériel peut intéresser tous les professionnels travaillant dans les clubs sportifs ou chez les pompiers. Le domaine est vaste ».


Le fabricant pourra donc commercialiser la table. En cas de succès, l’opération sera synonyme de recettes pour le SSA car ses contrats sont assortis, lors de co-développement, de clauses d’intéressement sur les fournitures mis en vente. EMMA ne sera d’ailleurs pas le seul équipement innovant déclinable dans le civil puisque le SSA a également participé à la mise au point un système de détection des oedèmes pulmonaires des nageurs de combat, dont pourraient bénéficier tous les plongeurs.

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