La modélisation des flux logistiques hospitalières a de l’avenir

Employée depuis longtemps par la logistique du monde de l’industrie, la modélisation des flux commence à émerger dans le domaine de la santé. Elle permet, à partir de données réelles, de simuler les conséquences de choix d’organisation, de mieux imaginer les bénéfices, les risques et les coûts, de prédire l’évolution de la situation et d’éclairer la décision, comme l’explique Thierry Garaix, enseignant-chercheur à l’Ecole des Mines de Saint-Etienne.

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Que se passerait-il si j’agrandissais mon entrepôt ? Si je renforçais l’équipe avec un poste de magasinier ? Si je modifiais le rythme des livraisons ? En général, il est bien difficile de se projeter et de répondre à ces questions sans avoir testé ces idées sur le terrain. Problème : les changements opérés, qui peuvent avoir des impacts bénéfiques, sont aussi susceptibles de déclencher des effets pervers et de perturber, en bout de course, l’organisation. Une des solutions est de faire entrer en scène des scenarii simulés grâce à des modèles élaborés à partir de statistiques réelles.

Diffuser le concept d’aide à la décision prédictive

Connue depuis longtemps de l’armée, de l’aérospatiale ou de l’industrie, la méthode est éprouvée. Dans le secteur de la santé, elle a surtout été expérimentée pour mieux piloter les urgences, afin de réagir au plus vite en cas d’afflux de patients, d’anticiper et de reconfigurer l’organisation de la prise en charge (dimensionnement des équipes, besoins en matériel) comme au CHU de Saint-Etienne.

 

Le système a également fait ses preuves pour le bâtimentaire. Lors de la crise sanitaire du printemps dernier, la construction de l’hôpital chinois de Leishenshan, chargé avec ses 1600 lits de désengorger les établissements de santé de Wuhan saturés par les patients Covid 19, a été précédée d’un travail de simulation afin de visualiser les voies possibles de diffusion du virus à l’intérieur des locaux et d’apporter d’éventuelles améliorations au site (lire notre article du 15 avril 2020).

 

Thierry Garaix

La modélisation est en revanche encore peu utilisée s’agissant de la logistique hospitalière, sans doute en raison de la méconnaissance de la technique et de la complexité inhérente au domaine. « Les flux sont plus faciles à modéliser dans l’industrie, car moins hétérogènes et guidés par le seul critère économique avec un accès aux bases de données plus uniformisé et direct, contrairement à un groupement hospitalier de territoire. les accès aux bases de données plus aisées, contrairement à un GHT. Et la culture de l’anticipation n’est pas encore très diffusée chez les logisticiens hospitaliers », argue Thierry Garaix, enseignant-chercheur à l’Ecole des Mines de Saint-Etienne (Laboratoire d’informatique, de modélisation et d’optimisation des systèmes UMR CNRS 6158) qui interviendra sur le sujet lors des prochaines journées de l’achat hospitalier. « Le but de l’Ecole, qui fait de la recherche mais aussi de l’ingénierie du système de soins et du système de santé, est d’imprégner les professionnels de cette philosophie d’aide à la décision prédictive. »

Ne pas confondre modélisation et simple étude statistique

Car la formule est parée de bien des atouts. « La modélisation des flux est un outil capable d’éclairer la décision sur plusieurs échelles : les choix stratégiques, par exemple le dimensionnement des installations ou la gestion des équipes, les choix tactiques, comme le pilotage des volumes, la nécessité d’un stock de sécurité, le cadencement des commandes, et les choix opérationnels qu’il s’agit de prendre en fonction des aléas – les ruptures d’approvisionnement, les absences des agents -des impondérables souvent récurrents à l’hôpital ».

Thierry Garaix insiste sur la distinction entre la modélisation de flux et les études purement statistiques qui ne font qu’émettre un constat. La première pointera, dans le détail, les causes des phénomènes et expérimentera des solutions. « C’est un outil complémentaire des statistiques qui ne font que montrer les dysfonctionnements éventuels, mais sans expliquer pourquoi on a, par exemple, des goulots d’étranglement ».

La modélisation ne décide pas à la place des responsables

Comment s’opère une modélisation des flux logistiques ? « La première étape consiste à étudier le système en place et à analyser les données collectées. Les flux se matérialisent par des quantités transférées, des ressources employées et des processus : à partir de quel moment, de quel seuil une commande est-elle déclenchée par exemple. » Cette collecte et cette cartographie, indispensables pour objectiver la situation mais chronophages, s’accompagnent d’une enquête terrain afin de déterminer les besoins et les attentes des services.

Les éléments sont ensuite moulinés par des modèles mathématiques et confrontés à des scenarii. Le procédé est-il à la portée de toutes les bourses ? « Il existe des outils simples sous forme de tableurs, rassure Thierry Garaix. Concernant les outils plus avancés, les simulateurs ne sont évidemment pas gratuits, avec des licences d’utilisation qui peuvent atteindre quelques dizaines de milliers d’euros par an. »

Cependant, prévient-il, la modélisation n’est pas une technique miracle. « Cela reste un outil pour objectiver un choix, évaluer une orientation, son impact, chiffrer des options et les positionner. Mais il ne pas faut se tromper ou s’illusionner. Ceux qui pensent qu’il suffira d’appuyer sur un bouton pour décider à leur place seront déçus »

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