Ehpad : le design thinking, une voie pour mieux acheter

Résidents, familles ou personnels… À chacun ses désirs et sa réalité, autant de différences – voire de divergences – d’usage que l’achat doit pourtant concilier. Au risque de se retrouver avec des équipements rapidement délaissés ou inutilisés. La méthode du « design thinking » peut permettre d’y arriver.

©Aïna

« En matière d’achat, l’évidence n’est jamais évidente et on ne compte plus les dépenses inutiles générées par des acquisitions inappropriées », introduit Florence Mathieu, cofondatrice de la start-up Aïna qui revendique la création de solutions innovantes « pour réinventer le quotidien de nos aînés ». En effet, entre performance technologique, simplicité d’utilisation ou maniabilité, les critères des uns ne sont pas forcément ceux des autres, faisant de l’achat une pomme de discorde.

Le mieux, ennemi du bien

Jacqueline Puthet l’a vécu, lors du réaménagement de l’un des Ehpad qu’elle dirige à Valserhône (Ain) : « aspirant à des visios de qualité, les familles poussaient à l’achat de téléviseurs dernier cri dont les seules télécommandes s’avéraient déjà – par leur complexité – totalement inutilisables par les résidents sans aide extérieure ».

Même constat côté téléphonie, « avec des choix qui peuvent heurter les proches, à contre-courant des smartphones dont les seniors perdent progressivement le maniement » ou s’agissant de la clim, « régulièrement éteinte dans les chambres car mal supportée par les aînés, et qu’il vaut mieux donc réserver aux espaces collectifs », explique-t-elle.

Le PASA de l’Ehpad La Roseraie© La Roseraie

Les malentendus ne se limitent d’ailleurs pas aux relations avec la famille : « Bien qu’animées de la meilleure volonté, certaines demandes professionnelles peuvent aussi s’opposer aux besoins réels des résidents », pointe Dina Abidos. La directrice de l’Ehpad La Roseraie à Saint-Sever (Calvados) a ainsi pu constater que la cuisine connectée prévue pour le nouveau Pôle d’activité et de soins adaptés (Pasa) s’avérait « surdimensionnée, et même inadaptée aux exigences des personnes utilisatrices d’un tel espace. »

Les solutions pour une bonne solution ?

Première clé pour éviter de telles chausse-trapes : « Se tourner vers les produits spécifiquement adaptés, quitte à payer la simplicité plus chère que la sophistication, car mieux vaut un surcoût à l’achat qu’une acquisition délaissée », avance Jacqueline Puthet. La dirigeante des Ehpad bellegardiens, poursuit : « En cas de controverse, il faut également justifier les choix, expliquer comment les habitudes d’hier ne sont plus celles d’aujourd’hui et moins encore celles de demain. »

Toutefois, l’idéal est évidemment de travailler le consensus dès l’amont. « Parce qu’un conflit d’usages ou d’acteurs n’exprime généralement qu’un conflit de solutions, il s’agit de bien cerner les besoins de chacun pour dégager la voie réunissant l’ensemble des parties », résume Florence Mathieu.

Concilier plutôt que réconcilier

Atelier de design thinking ©Aïna

L’affaire n’est pas nouvelle. Dans le cadre de réunions, voire d’ateliers de réflexion, nombre d’acheteurs passent déjà par ces préliminaires pour cadrer le choix avec les utilisateurs finaux, professionnels de l’organisation et/ou représentants des patients, résidents et/ou familles. « Ces démarches sont louables mais interroger une personne ne suffit pas pour mettre au jour ses attentes profondes ; il faut adopter une posture d’empathie, surtout face à des personnes souffrant de troubles cognitifs et à l’expression limitée », appuie la responsable d’Aïna.

Celle-ci multiplie donc les interventions en ce sens, sous l’égide du « design thinking », démarche de co-créativité fondée sur l’expérience utilisateur et le prototypage. À la tête de l’Ehpad André Compain de Saint-Michel (Charente), Alexandra Mathieu a bénéficié de la dynamique dans le cadre d’un appel à projet de la Caisse nationale de solidarité pour l’autonomie (CNSA) lancé à fin d’exemplarité (voir le webinaire Comment le design social peut-il aider à transformer les Ehpad ? ).

Une nouvelle voie pour la signalétique

« Placée trop haut ou de couleurs insuffisamment contrastées pour convenir aux personnes âgées, la signalétique est typique de ces solutions qui ne conviennent qu’à quelques-uns », pose Alexandra Mathieu. Alors que la « dérepérisation » est devenue une donnée fonctionnelle intégrée par tous, Aïna a donc observé les résidents pour relever « ce qui leur parle ».

©Ehpad Compain

Associée à des séries d’entretiens et d’ateliers organisés avec les personnels et les familles, la démarche collective a débouché sur des prototypes rassemblant tous les points de vue : sur les portes, des plaques de protection qui assurent la durabilité souhaitée par les agents mais assorties de moulures, poignées et heurtoirs tous individualisés, sur les paliers des aquariums ou figurines de girafes pour reconnaître l’étage et enfin, au sol, des tracés de couleurs pour guider jusqu’aux ascenseurs ou au restaurant, « ce qui a aussi le mérite de dégager du temps pour les personnels » ajoute Alexandra Mathieu.

Certes, la démarche constitue un investissement. « Mais elle garantit des espaces adaptés qui auront un impact organisationnel sur la durée de vie du nouveau bâtiment », assure Florence Mathieu, ajoutant pour conclure : « C’est aussi un formidable levier managérial qui refonde l’esprit d’équipe, redonne sens au travail et favorise une meilleure qualité de vie au travail. »

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