Quelle place pour les juristes dans l’achat 2.0 ?

Il y a quelques années encore, les juristes tenaient le haut du pavé et les acheteurs ne jouaient que les seconds rôles. Mais la professionnalisation de la fonction achat a rebattu les cartes. Dans les établissements et les collectivités d’envergure suffisante, les directions des achats et de la commande publique coiffent désormais ceux qui œuvraient auparavant en ordre dispersé. Coéquipier, position d’arbitre, voire fusion des rôles : quelle place confier aux professionnels du droit ?

« La mission des juristes s’est transformée. Avant on pouvait parler de juristes marchés, alors que désormais ils sont plus axés sur des expertises juridiques, on peut plutôt désormais parler d’accompagnants, de juristes contrats, couvrant un spectre plus large que les seuls achats : concessions, partenariats, conventions… », constate Franck Guyot, coordinateur régional de la thématique achats et transports sanitaires au sein de l’ARS Paca, fort de son expérience aux hôpitaux universitaires de Marseille où il était responsable achats, pilotage et performance.

L’achat, un travail d’équipe

Marie-Françoise Jamet

Même s’il faut nuancer le tableau, en fonction des situations locales, la prééminence des juristes n’est plus celle du passé. Aujourd’hui, afin d’optimiser les performances des uns et des autres, on raisonne le plus souvent en binôme, voire en trinôme, en quatuor, ou carrément en quintette, comme c’est le cas à Nice où Marie-Françoise Jamet, responsable achat et prospective de la ville et de la métropole Nice Côte d’Azur, explique que la préparation d’un marché nécessite de mettre toutes les chances de son côté et mobilise une équipe de travail pluridisciplinaire, pour obtenir la meilleure efficience possible. « Outre le binôme acheteurs/juristes, la participation des services prescripteurs me semble indispensable, dit-elle, mais on peut aller plus loin et intégrer à l’équipe le référent développement durable et les facilitateurs pour les clauses d’insertion sociales ».

Des accompagnants

Christophe Blanchard

Les juristes seraient-ils donc devenus des accompagnants ? C’est ce que pense Christophe Blanchard, directeur par intérim du Centre hospitalier de Mayotte, même s’il nuance son propos : « Tout dépend comment on perçoit le juriste. Si l’on réduit sa fonction au contrôle des documents ou si l’on considère que c’est un conseil à part entière, et associé dès l’expression du besoin. Les juristes n’exercent cependant pas uniquement dans le domaine des achats, ils peuvent expertiser des conventions de coopération, par exemple… ».

Reste qu’entre juristes et acheteurs, Christophe Blanchard n’a jamais ressenti de primauté des uns sur les autres : « Ils sont complémentaires, dit-il, d’ailleurs, aujourd’hui, l’un ne va plus sans l’autre, ils doivent travailler main dans la main en veillant en permanence au risque associé à l’achat hospitalier ». Mais, pour lui, les deux fonctions doivent être indépendantes : « On ne peut pas être juge et partie ! ».

Une tendance à la fusion des rôles

Jean-Michel Durand

Indépendantes l’une de l’autre ? « Oui, répond sans hésitation Jean-Michel Durand, la fonction économique est dévolue aux acheteurs, pas aux juristes ! ». Néanmoins, pour le directeur adjoint de la commande publique et des achats de la région Sud, la sécurisation juridique reste une priorité et le juriste a souvent le dernier mot sur l’acheteur : « Mais les métiers tendent de plus en plus à fusionner vers un profil acheteur public qui posséderait la double compétence ».

D’ailleurs, c’est sans doute pour cela que Jean-Michel Durand, qui est également chef du service achats, ne pense pas que la création d’un binôme acheteur/juriste soit indispensable : « Le binôme ne doit pas être systématique sur tous les achats, dit-il, mais l’émergence du métier d’acheteur public témoigne de la nécessité d’une double compétence… ».

Le juriste ne peut pas être juge et partie

Cette double compétence qu’évoque Jean-Michel Durand est plus que jamais au centre des arbitrages lors des recrutements : « Un acheteur peut devenir juriste, déclare Marie-Françoise Jamet, mais un juriste pur et dur ne pourra jamais devenir acheteur ». Même si elle prend le soin de nuancer : la préparation d’un marché et la performance d’un achat ne se bornent pas et ne s’évaluent à la qualité rédactionnelle d’un contrat juridique, si complexe soit-il.

La responsable achat et prospective de la ville de Nice et de la métropole Nice Côte d’Azur ajoute : « La réglementation est au service du besoin, et non l’inverse ». À l’acheteur de proposer les pistes d’optimisation et des montages innovants, dans le strict respect des dispositions réglementaires, au juriste son rôle de veille juridique et jurisprudentielle pour alerter et sécuriser.

Devenir un arbitre

Un avis que partage Jean-Michel Durand, et on reconnaît là le Marseillais amateur de football : « Si l’achat était un jeu, les acheteurs en seraient les joueurs et les juristes les arbitres. On se rend compte dans un match à quel point la présence d’un arbitre est importante pour développer un jeu de qualité, mais qu’il est encore plus important que cet arbitre comprenne bien les stratégies de jeu qui sont possibles et qu’il laisse les joueurs développer leur jeu ».

À Mayotte, c’est plus ou moins le positionnement de Christophe Blanchard. Quand on lui demande s’il serait prêt à recruter des agents qui soient à la fois juristes et acheteurs, le directeur du CHM par intérim répond par la négative : « Ces deux fonctions doivent être indépendantes ».

Franck Guyot

Franck Guyot le pense également, d’autant que, pour lui, la professionnalisation de la fonction achat rend la tâche des acheteurs lourde et complexe : « Le juriste doit se concentrer sur son cœur de métier, surveiller la jurisprudence, s’occuper de la vie des contrats et travailler aussi sur les précontentieux ». Pour lui, en dix ans, les positionnements ont changé : « C’est essentiellement dû à l’évolution du métier d’acheteur ». Une façon comme une autre de renvoyer les juristes à leur Dalloz…

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