Marc Sauvage : il ne s’agit plus d’acheter un prix, mais de la valeur

Pour le DGA en charge des achats, de la commande publique, du juridique et de la transformation numérique à la région Ile-de-France, la crise sanitaire a transformé la donne. Marc Sauvage est convaincu que les acheteurs publics, en quête de sécurisation des approvisionnements et de développement durable, ont un rôle éminent à jouer dans le mouvement de relocalisation qui se dessine. Il a animé des réflexions sur le sujet au Conseil national des achats (CNA) et fait plusieurs suggestions à un groupe de travail parlementaire pour amender le cadre réglementaire.

© F.Girard

L’épidémie du printemps dernier n’a pas seulement mis les services de réanimation des hôpitaux à rude épreuve. Elle a aussi balayé bien des certitudes chez les professionnels de l’achat, confrontés subitement à des ruptures d’approvisionnement et à une dépendance qui ont laissé des traces. L’éventuelle relocalisation de certaines activités est donc à l’ordre du jour. Début juillet, le Conseil national des achats et le cabinet PwC ont présenté une étude identifiant 58 catégories de produits les plus propices dans quatre segments : santé, agroalimentaire, électronique et industrie manufacturière ( Lire notre article du 16 juillet dernier )

L’achat groupé, un levier pour inciter les industriels à fabriquer en France

Sans le soutien concret des acheteurs, en particulier du secteur public, une telle démarche risque de faire pschitt. DGA de la région Ile-de-France, en charge des achats, de la performance, de la commande publique et du juridique, également vice-président du CNA, Marc Sauvage en est bien conscient. À la sortie du confinement, il a réuni, à distance, des acheteurs des différents pans de la fonction publique pour étudier les actions à mener. Avec un premier enjeu, parvenir à mieux connaître la force de frappe de l’Etat, des collectivités, des hôpitaux, des établissements publics… autrement dit sa capacité à influencer le monde de l’industrie par ses carnets de commande. « Dans ce domaine, on manque de données », constate-t-il. Car le recensement opéré par l’Observatoire économique de la commande publique qui chiffre à 101 milliards le montant pour 2018 n’est pas exhaustif. Le DGA francilien estime, pour sa part, que l’achat public, tous contrats confondus, s’approche plutôt du double.


L’un des leviers pour inciter les fournisseurs à relocaliser est d’avancer groupé. « Les hôpitaux ont leurs centrales, la DAE a entamé la démarche pour l’Etat, mais il reste beaucoup à faire du côté des collectivités, même si certaines, comme la région Ile-de-France, ont créé leurs propres centrales d’achat. Les besoins dans les collectivités territoriales sont très importants en termes d’ordinateurs ou de tablettes au bénéfice des écoles, collèges et lycées. Si on parvient à les agréger, on doit pouvoir faire des choses. Tout le monde obéit au même calendrier scolaire : il faut pouvoir se mettre d’accord sur le matériel, son aspect, son prix. Dans ce domaine, il existe déjà la centrale Epsilon (créée en 2014 à l’initiative de la région Aquitaine et utilisée par 4 autres conseils régionaux, NDR) mais il y a encore une étape à franchir », considère Marc Sauvage qui assure qu’un fabricant d’ordinateurs travaillant déjà pour de grandes marques en Asie se dit prêt à assembler en France pour un coût supplémentaire de quelques euros.

Réaménager les règles juridiques

Reste le cadre juridique. Marc Sauvage souhaite capitaliser toutes les bonnes pratiques réalisées avec l’actuelle boîte à outils pour donner toutes leurs chances aux prestataires hexagonaux, de la prise en compte du coût global aux circuits courts. « On n’est jamais allé au bout du TCO alors que ce critère est autorisé par le Code de la commande publique (voir l’article R2152-7, NDR) ». Et même s’il demeure impossible aujourd’hui d’imposer un critère « made in France », voire « made in UE », il a fait part de ses idées à un groupe de travail parlementaire dont l’objet était de simplifier la législation dans le cadre du plan de relance (lire notre article du 1er septembre)

Les députés ont repris à leur compte plusieurs de ses suggestions, notamment l’allongement de la durée des contrats, actuellement de maximum quatre ans, sauf exceptions. « Ce délai est insuffisant pour attirer en France des investisseurs qui ont besoin de plus de visibilité par exemple pour implanter une usine d’assemblage. Ils ne prendront jamais le risque, surtout en ignorant si le premier contrat sera reconduit », observe Marc Sauvage. Les parlementaires ont également retenu l’extension de la négociation aux appels d’offres. « Il faut plus de souplesse, pendant la procédure, mais surtout pendant l’exécution du contrat. Le BPU est quasiment intouchable et bénéficier de nouvelles conditions économiques relève de clauses complexes. Ne pas pouvoir obtenir un nouveau produit, même à tarif égal, en cas de rupture technologique favorable est un vrai frein. »


Le groupe de travail de l’Assemblée nationale a également écouté ses propositions de nouveaux critères, par exemple de mieux-disant sociétal lorsque le titulaire s’engage à créer de nouveaux emplois. « Le vrai sujet désormais, ce n’est pas d’acheter un prix, mais d’acheter de la valeur. Prenons le cas d’un masque. Il vaudra peut-être 50 centimes s’il est fabriqué en France, contre 30 centimes pour un équipement importé d’Asie, mais il aura nécessité moins de transport, provoqué moins de pollution et procuré des emplois sur le territoire », met en avant Marc Sauvage.

L’exemple francilien des denrées alimentaires

Le DGA ne se contente pas de paroles. Dans le registre des produits alimentaires, la région Ile-de-France a recensé des producteurs locaux, du pain aux œufs, en passant par les légumes. Un sourcing qui pourra servir aux achats spots, sous 40 000 euros. « Chaque lycée a sa propre cantine qui fait ses propres achats. On leur propose ainsi 14 paniers repas composé de produits franciliens pour mettre dans les assiettes. »


Le mouvement se poursuivra à la rentrée 2021 grâce à un accord-cadre passé par la centrale d’achat régionale qui permettra à chaque lycée de s’approvisionner en produits locaux grâce à certains critères (délai entre date de fabrication et date de consommation, impact carbone). La collectivité francilienne sera-t-elle suivie ? « Tout le monde partage le même sentiment. Nous verrons dans les prochains mois si cela se traduit par des actes, lors du choix des critères des appels d’offres. »
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