Les clefs de la souveraineté sanitaire

La déferlante du coronavirus a mis en relief l’impérieuse nécessité dans le secteur de la santé de mieux sécuriser la chaîne d’approvisionnement. Relocaliser certaines productions au sein de l’Union est l’un des moyens d’y parvenir. À condition, côté acheteurs, d’accepter d’en payer le prix et de donner de la visibilité aux industriels, et côté entreprises, de trouver aussi du personnel qualifié sur place, comme l’ont rappelé les professionnels invités à une conférence du cluster NSL.

© Epictura

Pénurie de masques, de gants et de surblouses, insuffisance de certains DM et médicaments… Tout le monde a encore en tête les conséquences sur les chaînes d’approvisionnement de la première vague Covid début 2020. La pandémie a aggravé des tensions qui existaient déjà ou les a provoquées. Et la congestion actuelle du fret maritime n’arrange rien.

« On est dans une situation aujourd’hui où tous les articles et matières sont regardées à la loupe », a assuré Ana Alvès, directrice du site de production de Sanofi à Compiègne, lors d’une conférence organisée le 2 février par le cluster NSL (Nutrition Santé Longévité), réseau professionnel des industries de la recherche et du soin des Hauts-de-France. Jusqu’au manque de carton nécessaire pour le conditionnement, a également témoigné Lucas Huyghe, ingénieur chez Cousins Surgery, PME qui élabore des DM implantables à partir de textiles.

Prise de conscience générale de l’importance de la chaîne d’approvisionnement

« Cette pandémie a simplement révélé les faiblesses de ce qui s’est construit des décennies auparavant », a rappelé Jean-Yves Moreau, directeur des affaires publiques territoriales chez Sanofi. S’agissant du médicament, l’outil industriel a été divisé par deux dans l’hexagone depuis 2005 et la France, autrefois première puissance pharmaceutique européenne autrefois, pointe aujourd’hui au 4e rang des producteurs, et même au 6e s’agissant des nouveaux médicaments. Selon un récent rapport parlementaire, 75 % des principes actifs utilisés en France sont d’origine asiatique.

En 2018, DM et médicaments ont représenté 60 milliards d’euros, dont pratiquement un tiers acquis par les établissements de santé. Pour les seuls médicaments, 83 % des dépenses concernent des produits importés. Et 26 % de ces importations proviennent de pays extracommunautaires. « Trop longtemps, on a cru que l’Europe pharmaceutique pourrait garder ce qu’on pourrait appeler la partie noble, l’innovation et la R&D et d’aller produire ailleurs à bas coût », a commenté Jean-Yves Moreau.

Mais à toute chose, malheur est bon. La crise Covid a été un « accélérateur formidable pour passer de la réflexion à l’action » au profit de la « supply chain » dans le secteur de la santé, a mis en avant Jean-François Mercury. « Dans le secteur hospitalier, on parlait beaucoup des achats, un petit peu de la logistique. Et les approvisionnements étaient le grand absent », a poursuivi le directeur de projets au Resah, « aujourd’hui, cette chaîne est intégrée par tous les décideurs hospitaliers. C’est une conséquence très positive, même indirecte, de la crise sanitaire. »

Donner de la visibilité aux industriels

La relocalisation est un moyen de réduire les risques. Le Conseil national des achats a identifié 58 catégories de produits propices, dont nombre relèvent du secteur de la santé (lire notre article du 16 juillet 2020). En lançant de grands programmes, dont le plan de relance, les pouvoirs publics veulent créer les conditions économiques nécessaires au retour des industries.  Le plan Innovation santé 2030 fixe pour objectif la production de 20 biomédicaments.  « Au-delà de la prise de conscience, on rencontre un réel soutien, a reconnu Jean-Yves Moreau, une volonté de sécuriser nos capacités d’innovation, de production et de distribution. »

Les acheteurs publics ont donc un rôle majeur à jouer. Jean-François Mercury a ainsi donné en exemple le marché emblématique lancé par le consortium Re-Uni afin d’acquérir 2 milliards de gants, qui a donné suffisamment de visibilité pour inciter un industriel de réimplanter une usine en France avec un « risque mesuré » (lire notre article du 27 mai 2021).

Un travail de longue haleine

Pour autant, la reconstitution d’un tissu économique est une procédure complexe et de longue haleine, a prévenu ce spécialiste de la « supply chain », même pour un bien qui peut apparaître simple comme une paire de gants. Car il faudra, en l’espèce, importer non seulement une partie de la matière première d’Asie du Sud-Est, mais aussi les machines en raison d’un savoir-faire oublié depuis des décennies.

En raison des structures de coûts défavorables aux pays européens, le retour des sites de production restera de toute façon compliqué pour certaines activités. C’est par exemple le cas des produits textiles (linge, vêtements professionnels). Le Resah dialogue avec ses fournisseurs, a illustré Jean-François Mercury, et l’une des pistes réside dans le recyclage dans le but de récupérer la matière première et de retisser localement à partir de textiles usagés.

Dans le domaine du médicament, relocaliser tous les principes actifs ne supprimera pas la dépendance à certains composants, a confirmé Jean-Yves Moreau, lequel a insisté sur la différence entre souveraineté sanitaire et indépendance. « Construire une souveraineté sanitaire pour les produits pharmaceutiques, c’est de construire son réseau de partenaires », a-t-il précisé, « savoir avec qui vous vous approvisionnez ».

Manque de bras

Selon Jean-François Mercury, « une génération » sera nécessaire pour réindustrialiser dans de nombreux domaines. À condition de surcroît que les acheteurs acceptent de payer le prix de ce désir et ce besoin de circuits raccourcis et mieux sécurisés. « Il faut donner le temps aux plans », a prévenu Jean-Yves Moreau, on ne sort pas une nouvelle usine en deux mois ». C’est pourquoi Sanofi met l’accent sur l’augmentation des capacités de ses implantations existantes en France et en Europe, à l’image de la transformation d’un site de chimie à Vitry-sur-Seine en vue de fabriquer des médicaments biologiques.

Réindustrialiser implique aussi d’avoir les bras pour faire tourner les usines. Cela ne sera pas une mince affaire, à en croire les professionnels. Cousins Surgery rencontre des difficultés pour trouver des personnels qualifiés dans le monde de la couture. Par ailleurs, l’industrie n’attire peu ou prou les jeunes générations. Même des profils de techniciens de maintenance, des opérateurs de production sont difficiles à recruter, a reconnu Ana Alvès. D’où l’importance d’initiatives comme l’usine-école imaginée par l’Institut des métiers et des technologies des industries pharmaceutiques et cosmétiques avec le soutien de la région Hauts-de-France, dans le but de faciliter la formation initiale et continue.

Réagir à cet article

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *