Inflation : le bon prix, mais pas à tout prix

Demande de révision des marchés, prix hors sol… La flambée des coûts donne un sacré coup de chaud aux acheteurs qui, entre règles juridiques et budgets contraints, doivent cependant veiller, ni à comprimer leurs approvisionnements, ni à asphyxier leurs fournisseurs. Trois acheteurs nous confient leurs pratiques en la matière.

© Epictura

Est-il besoin de le rappeler ? Dans la foulée de la crise et de la guerre, l’inflation explose, enflant les factures d’énergie, de restauration, de produits médicaux ou encore de nettoyage. Deux chiffrent en expriment l’ampleur : un surcoût d’environ 760 millions d’euros pour les seuls hôpitaux publics selon la Fédération hospitalière de France (FHF) en juillet, et même plus d’un milliard pour l’ensemble des établissements de santé, d’après les cinq fédérations hospitalières des secteurs public, associatif et privé en octobre dernier.

Mais face à ces hausses, dont certaines apparaissent « hors sol », quel choix s’avère donc celui des hôpitaux pour préserver tout à la fois leur offre de soins, leurs finances et leurs relations fournisseurs ? Réunis vendredi 9 décembre dans le cadre des Journées de l’achat hospitalier, trois acheteurs issus d’horizons différents ont partagé leurs solutions.

Jamais sans justificatif

Nicolas Lallemand

Pas de révision sans justification. Dans une unanimité qui, plus que de la méfiance, se veut « une approche de confiance » visant à concilier la continuité du service public et la prise en compte des difficultés des entreprises, la première recommandation s’attache clairement à l’inspection des réclamations. Ainsi Nicolas Lallemand décrit-il le process instauré « au cas par cas » au sein de la direction achat mutualisée qu’il dirige pour les départements des Hauts-de-Seine et des Yvelines.

Indices de révision des prix bien sûr, mais aussi pièces analytiques, compte de résultat de l’entreprise, factures de ses fournisseurs… À chaque secteur et entreprise ses éléments justificatifs, mais avec pour tous un seul objectif : « établir la preuve d’une réelle dégradation de l’économie générale du contrat dans des limites n’ayant pu être envisagées lors de la passation de celui-ci », explique le dirigeant francilien.

Indemniser, réviser ou compenser…

Une fois établie « la réalité de la charge extracontractuelle » subie par le titulaire – du fait par exemple de la hausse de certaines matières premières – « un aménagement un contrat, voire une modification du prix peut alors être introduite (avis du CE du 15 septembre 2022), assortie ou non d’une convention d’indemnisation, en application de la théorie de l’imprévision et raisonnée sur la seule consultation concernée.

Pascal Pelon

Mais pas que ! Pour Pascal Pelon, directeur des achats d’Axa France et représentant du Conseil national des achats (CNA), d’autres voies sont aussi possibles : un « effort de productivité » demandé au prestataire de manière compensatoire ou encore, à fin de rééquilibrage, « accepter une partie de la hausse, ou acheter moins », explique ce professionnel. De circonstancielle, la méthode pourrait d’ailleurs bien devenir définitive face à une inflation désormais qualifiée de durable par les banques centrales.

Ainsi Pascal Pelon se prépare-t-il « à spécifier différemment les services ou biens à l’avenir, en quantité comme en qualité », notamment en opérant une chasse méthodique aux sur-qualités inutiles. Mais prudent, il est également attentif à « prévoir des mécanismes de révision à la baisse » pour anticiper la future déflation.

La compétence, plus que jamais

Philippe Maraval

À la direction des achats et des marchés de Pôle Emploi après avoir exercé ces mêmes fonctions au sein de l’AP-HP, Philippe Maraval, pour sa part, incite ardemment ces anciens homologues à pratiquer plus couramment les marchés à révision de prix et ce sur des fréquences plus courtes (semestrielles par exemple), « solution d’autant plus transposable aux achats hospitaliers que deux tiers de ceux-ci sont à bons de commande (médicaments, dispositifs médicaux…) », argumente-t-il.

Mais cela sans omettre de bien se former en conséquence car, en créant « un champ de négociation », l’avis du Conseil d’État sur les modifications « sèches » des clauses financières des contrats pose la question centrale de la compétence de l’acheteur public : en effet, « la négociation est un combat dont la munition première est la connaissance des structures de coût », pose ce spécialiste, auteur de « Optimiser la commande publique », paru chez Dunod en 2015.

Rapport de force et dialogue

« Microéconomie du secteur, arcanes de la négociation… Placé face à des professionnels dont l’activité même est en jeu, cet acheteur, dont la fonction était encore hier protégée par le, totem des prix fermes et/ou des indices nationaux, doit en effet savoir maintenant fourbir ses armes puisqu’un véritable rapport de force s’instaure, déterminant pour la préservation des deniers publics », explique-t-il.

Un rapport de force qui, toutefois, ne peut évidemment s’envisager que « dans le cadre d’un dialogue ouvert et respectueux des deux parties, dialogue au sein duquel l’acheteur retrouve aussi une attractivité aux yeux de ses fournisseurs », complète en conclusion Nicolas Lallemand dont les deux conseils départementaux arborent désormais le label « Relations fournisseurs et achats responsables » (RFAR).

 

Réagir à cet article

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *