Covid : les hôpitaux sortent les calculettes

Six mois après le premier épisode Covid, quatre établissements de santé mettent cartes sur table et révèlent à l’euro près ce que leur ont coûté les équipements de protection individuelle depuis le début de la pandémie.

© Epictura

Entre la hausse hallucinante des prix et celle des quantités consommées, les chiffres donnent le vertige. Ainsi, à la Clinique Ambroise Paré de Neuilly-sur-Seine, alors que l’évolution en volume du premier semestre 2020 comparé à celui des premiers semestres 2019 et 2018 atteignait 8 646 % pour les masques FFP2, le budget, lui, crevait le plafond à 29 503 % ! Même constat pour les masques chirurgicaux : un volume en hausse de 250 % mais un budget qui explosait de 2 111 %. Pour les blouses à usage unique, alors que la consommation s’est accrue de 94 %, l’addition, elle, s’est envolée de 636 %…

Masques : cinq fois la consommation annuelle dès septembre

La situation était pratiquement identique à 8 000 km de là où le centre hospitalier de Mayotte a enregistré pour la première vague un surcoût supérieur à 1,1 M€ pour les seuls masques chirurgicaux. Quand à peine plus de 200 000 masques étaient consommés en 2019 à Mamoudzou, le CHM dépassait déjà le million d’unités courant septembre. Pour les gants, le constat est sans appel et il n’y a aucune chance que la situation puisse s’améliorer un jour car l’alternative en lavable n’existe pas. Le surcoût dû à la première vague s’est élevé à près de 400 000 € pour les nitriles.

Ainsi, à la Clinique Ambroise Paré, même si la consommation de gants vinyle avait paradoxalement baissé de 24 % sous l’effet de la fermeture des unités de soins imposée par l’ARS, le budget, lui, était tout de même en hausse de 9 %. Pharmacien hospitalier au CHU de La Timone, à Marseille, Nicolas Coste ne peut que constater notre dépendance des pays asiatiques : « Pour produire en France des gants en latex, encore faudrait-il pouvoir y planter des hévéas… ».

L’aide bienvenue de l’Etat

À Pontivy, au centre hospitalier du Centre Bretagne, le constat est également sans appel, même si l’établissement dont Arezki Cherifi est directeur-adjoint ne compte qu’un millier de lits dont la moitié est affectée aux deux Ehpad du CHCB. Directeur des achats, de la logistique et du biomédical, il a été obligé, lui aussi, de faire face à l’explosion des besoins et à celle encore plus forte des prix : « Alors que pour toute l’année 2019 notre budget EPI représentait 180 000 €, nous avions déjà dépensé 500 000 euros avant l’arrivée de la deuxième vague, s’exclame-t-il, alors même que, comme tous les hôpitaux, nous avons été fortement aidés par l’État qui nous a approvisionné en masques, blouses, SHA, gants et bien d’autres EPI ».

Quitte à se faire des ennemis, il en convient volontiers, Arezki Cherifi déplore le “gouvernement bashing” : « Sans le concours des services de l’État les hôpitaux n’auraient pas pu fonctionner ». Et de souligner pour exemple la très forte hausse des besoins en masques : « Pour les masques chirurgicaux notre consommation s’est accrue de plus de 420 %, et carrément de 2 300 % pour les FFP2. Si l’on ajoute à ça l’explosion des prix avec des masques qui nous étaient facturés 29 fois plus cher, les comptes sont vite faits. Nos budgets ont déjà explosé, mais sans l’aide de l’État, pour les seuls masques, nos dépenses auraient encore été multipliées par trois. »

Envol des budgets

Et de poursuivre, un brin désabusé : « On pourrait presque dire que la hausse du budget que nous avons dû consacrer aux blouses était plus raisonnable puisque les prix ont “seulement” été multipliés par seize ». Mais Arezki Cherifi ne veut pas conclure sans mettre l’accent sur « l’extraordinaire solidarité de simples particuliers venus apporter un carton de masques ou des visières 3D, ou celle des industriels bretons qui nous ont offert les SHA, les masques et les blouses qui nous ont permis de tenir au tout début de la crise ».

À l’autre bout de la France, adjointe à la direction des ressources opérationnelles et de la performance environnementale, Fabienne Guerra est en charge de la logistique et des achats du centre hospitalier du Pays d’Aix. « Heureusement nous avions su anticiper et n’avons jamais été en rupture d’EPI, se félicite-t-elle, même si nous avons connu de sérieuses tensions sur les masques, les blouses, les tabliers et, dans une moindre mesure, sur les pyjamas à usage unique, les charlottes et les lunettes de protection ».

Une gestion pointue quotidienne pour limiter les dégâts

Reste qu’entre l’augmentation des besoins et l’évolution des prix, les budgets se sont eux aussi envolés à Aix-en-Provence comme elle le déplore : « Selon les types de masques que nous utilisions, l’augmentation des prix unitaires s’est envolée jusqu’à presque 2 000 % alors que, tous types confondus, notre consommation augmentait de 422 %. » Même constat, dans de moindres proportions, selon les types de blouses : « Lorsque nous consommions 252 % de blouses visiteurs en plus, les prix unitaires subissaient de leur de leur côté une hausse de 287 %, et pour les tabliers de protection en plastique c’était heureusement moins préoccupant, puisque lorsque la consommation s’accroissait de 13 %, les prix, eux, n’augmentaient “que” de 19 %… ».

Seule une gestion extrêmement pointue des approvisionnements dans les services a permis de limiter les dégâts : « Nous fournissions chaque jour la quantité d’EPI évaluée par l’unité d’hygiène et chacun des services de soins qui nous restituaient le surplus éventuel lors de la livraison du lendemain ». Fabienne Guerra en convient, la logistique déployée pour gérer les approvisionnements de chacun des services du centre hospitalier a été particulièrement complexe : « Complexe et chronophage, mais elle a prouvé son efficacité ».

 

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