Relocalisations : les pistes à privilégier

Relocaliser, le verbe a le vent en poupe depuis la pandémie laquelle a souligné les problèmes de souveraineté économique et de sécurisation des approvisionnements. Mais quelles filières privilégier ? Le CNA, avec l’aide de PwC, a mené l’enquête sur les domaines propices à une production nationale. Secteur névralgique, la santé est l’un des domaines à explorer.

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La crise sanitaire est l’opportunité de corriger les effets pervers de la mondialisation, notamment la dépendance vis-à-vis de certains pays et la perte de maîtrise des circuits d’approvisionnements, a résumé Thomas Gouzènes, secrétaire général du Conseil national de l’industrie (CNI), lors de la présentation de l’étude réalisée par le Conseil national des achats et PwC le 9 juillet dernier. Sans oublier l’empreinte carbone liée aux transports et les délais de livraison lorsque le matériel est assemblé à l’autre bout de la planète.


Néanmoins, il ne s’agit pas de réimplanter sur le territoire français des industries du passé, mais d’établir des priorités, de dessiner une stratégie, en fonction des besoins, des technologies d’avenir et de la main d’œuvre formée et disponible, afin de proposer des sites attractifs aux investisseurs potentiels.


Liste de 58 catégories de produits propices


Depuis le début des années 2000, le déficit commercial de la France est persistant. Et quatre secteurs pèsent lourd dans la balance : santé, agroalimentaire, électronique et industrie manufacturière. Après avoir établir une grille de criticité (part des importations, part des importations extra-communautaires, évolution de la demande…), l’étude a identifié 113 catégories de produits de ces domaines, totalisant 285 milliards d’euros d’importations.
Avec l’aide d’acheteurs (groupes de travail et entretiens), le passage au tamis a finalement retenu 58 catégories de biens les plus propices à des relocalisations.


Sans surprise, le secteur de la santé figure au premier rang des domaines à investiguer. En 2018, médicaments et dispositifs médicaux ont représenté 60 milliards d’euros, dont pratiquement un tiers acquis par les établissements de santé. Pour les seuls médicaments, 83 % des dépenses concernent des produits importés. Et 26 % de ces importations proviennent de pays extracommunautaires.


Des alcaloïdes aux machines PCR


C’est ce qui a poussé, fin mai, le groupe LR de l’Assemblée nationale à déposer une proposition de loi visant à permettre la réservation de marchés publics de médicaments, principes actifs, matériels de protection et gels hygiéniques « essentiels à la sécurité sanitaire » du pays à des « entreprises dont les sites de production sont situés sur le territoire national » en insérant un nouvel article L. 2113‑17 dans le Code de la commande publique. Et le 18 juin, le gouvernement a lancé un appel à manifestation d’intérêt, doté de 120 millions d’euros, pour favoriser sur le sol français la production de médicaments utilisés dans la prise en charge contre le virus.


L’étude du CNA a mis en avant plusieurs segments prioritaires : la fabrication des anticorps monoclonaux en immunologie, celle des alcaloïdes en anesthésie, les taxanes dans le secteur de la cancérologie, les médicaments de traitement du diabète en endocrinologie. Au chapitre des DM, les seringues, les équipements de protection individuelle chirurgicaux ont été évoqués, ainsi que les machines PCR et leurs consommables côté réactifs.

La question de la souveraineté numérique


Mais la santé n’est pas le seul secteur à fort potentiel de relocalisation. Dans le secteur de l’agro-alimentaire, même si l’industrie tricolore (production et transformation) peut s’enorgueillir d’un excédent de 7,7 milliards, la balance globale reste légèrement déficitaire (500 millions). Et plusieurs produits en plein essor comme les protéines à base de poids ou les emballages, avec une alternative au plastique, pourraient avoir un bel avenir dans l’hexagone.


Autre matière à réflexion, l’électronique pose la question de la « souveraineté numérique » car la France a importé, en 2018, pour 26 milliards d’euros dans ce domaine (dont 67 % à l’extérieur de l’Union, principalement de Chine, des Etats-Unis et du Viêt-Nam). Dans le viseur d’éventuelles relocalisations : la fabrication de puces, de capteurs pour objets connectés, les cellules de batteries (75 % de la production mondiale est concentrée en Asie), les câbles de fibre optique, les infrastructures pour « clouds ».


Le succès des relocalisations passe par une demande structurée


La réussite d’un tel dessein passe aussi par la structuration de la demande. « Les acheteurs ont un rôle à jouer dans cette reconstruction », a insisté Jean-Louis Baras, président du CNA. La commande publique avec ses 200 milliards annuels (DSP et concessions comprises) pourrait jouer le fer de lance. « On ne peut acheter comme avant », considère Marc Sauvage, DGA chargé des achats à la région Ile-de-France et vice-président du CNA, au regard des impacts économiques, environnementaux, sociaux et sociétaux.


Même si la réglementation des marchés publics interdit aujourd’hui d’imposer du « made in France » ou du « made in Europe », il veut recenser les bonnes pratiques actuelles, par exemple en termes de circuit court ou de prise en compte du coût global, améliorer la connaissance de la chaîne de valeur, en identifiant mieux les fournisseurs de 2e rang, et explorer les moyens de mutualisation pour atteindre une masse critique suffisante et inciter les industriels à fabriquer en France.


Le CNA ne compte pas s’arrêter en si non chemin. Son objectif est de proposer au CNI, à la Direction générale et des entreprises et aux différents comités stratégiques de filières d’imaginer un appel à manifestation d’intérêt (AMI) pour sélectionner les territoires et les écosystèmes les plus appropriés et mobilisés pour accueillir des relocalisations. Et de démarrer le mouvement avec une vingtaine de projets chargés de prouver qu’il ne s’agit pas d’utopie.
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