Formol : le CHU de Bordeaux ne tourne pas autour du pot

Cancérigène, mutagène, reprotoxique et neurotoxique… Plus couramment appelé formol sous sa forme liquide, le formaldéhyde est un composé organique aussi dangereux qu’incontournable. Mais en attendant une alternative actuellement impossible au bloc comme au « labo », le CHU de Bordeaux a élaboré une formule pour en limiter la consommation, en réfléchissant au conditionnement et à la réutilisation. Résultat : 10% de produit économisé.

© CHU Bordeaux

Si certaines recherches démontrent que le formaldéhyde – couramment utilisé sous forme liquide appelée formol – peut parfois être supprimé, aucun produit de substitution n’a – à ce jour – été trouvé en anatomie et cytologie pathologiques. Dans les laboratoires et les blocs, grands consommateurs de cette solution pour ses propriétés de conservation et son pouvoir biocide, les professionnels restent par conséquent soumis aux effets toxiques de cet agent hautement cancérigène et mutagène.

Pots surdimensionnés

« En plus des mesures préventives (EPI, carénage des tables, ventilation…), la seule voie consiste donc à tenter de réduire au maximum leur exposition », pose Anne Rullier, médecin anatomo-cyto-pathologiste au CHU de Bordeaux. Alors que son établissement entame une démarche très complète autour des unités durables (lire notre article du 31 mai 2022), la spécialiste a donc, devant sa paillasse, identifié deux possibilités : « la réduction des contenants et la création d’une filière de deuxième main minorant aussi l’empreinte environnementale de ce produit dangereux. »

« L’objectif vise à n’utiliser le formol qu’avec parcimonie, dans les justes proportions nécessaires. Or, seul un professionnel de terrain, capable de mesurer les conséquences d’une telle démarche sur l’efficacité et l’efficience de l’action médicale, pouvait mener ce type d’expérimentation », défend la spécialiste. Pour la « pro » des tables de macroscopie, un premier constat est immédiat : « des pots de prélèvement le plus souvent surdimensionnés, appelant un volume inapproprié de formol ».

Processus de recyclage interne

La récupération du formol © CHU Bordeaux

Afin d’y remédier, Anne Rullier propose donc de placer désormais les pièces opératoires à l’état frais dans des pots mieux adaptés à leur taille. Mais la surconsommation ne s’arrête pas là avec, pour près de huit tonnes de formol achetées chaque année par le CHU, un produit systématiquement jeté après utilisation et des centaines de bidons mis en DASRI. « L’idée est alors venue de valoriser le produit en interne », annonce-t-elle.

Récupéré dans un contenant placé à la paillasse et équipé d’un entonnoir au filtrage extrêmement fin, le formol est réutilisé pour certains prélèvements d’oncopédiatrie et de chirurgie digestive à l’état frais sur lesquels la pathologiste peut contrôler en continu la conformité à la qualité.

Avant utilisation, le PH du formol recyclé est vérifié et un test chimique éprouve sa réactivité. Pour plus de sécurisation encore, seul le formol d’abord employé pour des prélèvements de taille millimétriques ou infra et répondant à des critères précis est valorisé, et ce uniquement pour des échantillons eux-mêmes pluri-centimétriques.

Qualité équivalente au formol neuf

© CHU Bordeaux

Enfin, les pièces ainsi traitées sont tracées dans le logiciel-métier du laboratoire. En bout d’étapes, le résultat est là : « des études de biologie moléculaire menées à l’aveugle témoignent bien d’une qualité d’ADN tissulaire identique, qu’il ait été fixé à l’aide d’un formol de première ou de deuxième utilisation », assure Anne Rullier.

Les chiffres sont également au rendez-vous : « sur douze mois, 10 % de volume en moins, soit une baisse équivalente de ses effets sur les personnels, sur les déchets et, évidemment, sur le budget (près de 5000 euros économisés) » rapporte le médecin.

Un circuit national de consigne attendu

Ouvrant ainsi la voie d’une pratique plus sûre et plus éco-responsable à tous les établissements et laboratoires, l’expérimentation bordelaise fera l’objet d’une large communication scientifique lors du prochain congrès national d’anatomie et cytologie pathologiques organisé à Paris, mi-novembre.

Une consécration attendue pour ce travail de recherche, laquelle lui permettra sans doute de passer à une échelle supérieure, voire d’inciter à l’instauration d’un circuit national de consigne des bouteilles de formol vides, pour l’heure bloqué par une réticence des industriels encore, elle, bien fixée.

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