Eco-soins : les anesthésistes-réanimateurs montrent la voie

Conscients de l’impact environnemental de leur travail, de nombreux anesthésistes-réanimateurs cherchent à améliorer leurs pratiques au bloc opératoire pour réduire notamment la diffusion de gaz polluants et la prolifération des déchets. Le Comité pour le développement durable en santé (C2DS) et la Société française d’anesthésie et réanimation (SFAR) ont décidé de s’associer pour inciter les professionnels à suivre leur exemple.

© Epictura

Les anesthésistes ont été les premiers acteurs à s’impliquer dans une dynamique durable à l’hôpital, a constaté Olivier Toma, porte-parole du Comité pour le développement durable en santé (C2DS, réseau fédérant 700 établissements), à l’occasion d’une conférence organisée hier conjointement par cette association et la Société française d’anesthésie et réanimation (SFAR). Il faut dire que l’anesthésie – 11 millions d’actes par an en France – n’est pas sans impact sur notre environnement.

Rejet dans l’atmosphère de gaz très polluants

Les gaz employés pour endormir les patients en cas d’anesthésie générale sont de « puissants gaz à effet de serre », a rappelé le Dr Jean-Claude Pauchard, médecin anesthésiste réanimateur à la clinique Aguilera de Biarritz. Peu métabolisés, ils sont rejetés directement dans l’atmosphère. Le desflurane, pour ne citer que lui, est ainsi 2540 plus polluant que le dioxyde de carbone. Le protoxyde d’azote s’attaque aussi à la couche d’ozone. Que faire ? « Il y a des gestes simples à adopter », a assuré le Dr Pauchard.

D’abord en modulant les débits, de façon manuelle ou automatisée, et en choisissant, en fonction du patient, le meilleur gaz avec des conséquences environnementales plus faibles. Au Royaume-Uni, le CHU de Bristol s’y emploie (lire notre article du 11 mars 2020 ). En adaptant ses pratiques, l’hôpital Tenon (AP-HP) a ainsi réduit ses émissions GES de 905 à 18 tonnes entre 2014 et 2020.

Sensibiliser les professionnels, ne rien leur imposer

« Il ne s’agit pas d’opposer une décision médicale et sécuritaire pour le patient à une décision environnementale. Pour les vapeurs anesthésiques, on ne fait pas la guerre aux gaz polluants, on vise justement à fournir des données factuelles pour que les gens l’utilisent correctement », a prévenu le docteur El Mahadi Hafiani, médecin anesthésiste réanimateur à Tenon et président du comité RSE de la SFAR, « notre rôle est de sensibiliser, pas d’imposer ».

Les gains ne se limitent pas à l’écologie. Ils sont aussi financiers. Grâce à des comportements différents, le CH Princesse Grace a non seulement effacé l’équivalent du parcours d’une voiture sur 1/5e de la circonférence de la Terre, mais aussi économisé 68 000 euros en 18 mois, a témoigné le docteur Laure Bonnet, anesthésiste-réanimatrice de l’établissement monégasque.

Les blocs opératoires à l’origine d’un tiers des déchets de l’hôpital

La récupération des gaz est aussi envisageable. Des dispositifs déployés au Canada sur les toits des structures de santé parviennent à les collecter et à les reconditionner. Cela serait la solution idéale, mais cela n’existe pas encore en Europe, a regretté le Dr Pauchard. Quels que soient les dispositifs à imaginer, le CD2S et la SFAR ont la ferme intention d’aller rencontrer les fabricants de gaz et de respirateurs pour trouver des terrains d’entente.

Les gaz ne sont pas, loin s’en faut, le seul sujet d’investigation des deux organismes. La réduction de la montagne de déchets produite par les hôpitaux est aussi un thème porteur. À elles seules, les anesthésies en génèrent 2500 kg par an et par bloc. Plus largement, les salles d’opérations sont à l’origine d’un tiers des déchets hospitaliers. Une intervention chirurgicale engendre plus de déchets qu’une famille de quatre personnes en une semaine !

L’exemple des lames de laryngoscope

L’exemple des lames de laryngoscope, consommées quotidiennement pour les intubations, est un cas d’école. Réutilisables avant la crise de la vache folle, ces DM sont passés en usage unique à cause d’une peur de la contamination de la maladie de Creutzfeldt Jakob. Réalisées en métal, maniées une poignée de minutes puis jetées, les lames, en raison de leur fabrication le plus souvent en Asie, du transport et de leur incinération à très haute température, affichent un bilan carbone terrible.

Pourtant, assure le Dr Bonnet, rien, sur le plan réglementaire, n’interdit les lames réutilisables. Côté qualité, le matériel est identique. Et le bénéfice écologique est clair puisque la lame à usage multiple, par ailleurs recyclable, permet d’économiser au bas mot 1250 lames jetables et de réduire le poids des déchets. L’hôpital de Monaco table sur une réduction des déchets métalliques de 275 kg/an. Mais le bilan économique dépend aussi du coût de la stérilisation, différent d’un établissement à un autre.

Le C2DS souhaite continuer à labourer le sillon. Ces deux thèmes (gaz et lames), ainsi que l’empreinte carbone d’une cataracte ou d’une dégénérescence maculaire liée à l’âge (DMLA), feront l’objet de groupes de travail. « L’objectif sera de contacter les industriels, de faire remonter leur positionnement, de réfléchir avec eux, et de poursuivre la cartographie des bonnes pratiques », a conclu Véronique Molières, président du Comité.

 

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